Le nouveau projet  pour le Festival Internacional de Teatro Clasico de Almagro

Entretien avec Ignacio Garcia, directeur du Festival 

La programmation complète sur le site du festival à partir de 16 avril

       

       Nommé en octobre 2017 directeur artistique du Festival International de Théâtre Classique d’Almagro Ignacio Garcia а fêté ensemble avec le festival, 40 ans. Sous sa direction le Festival met cap au monde comme promoteur du patrimoine théâtral du Siècle d’Or en y incluant la littérature et le théâtre produits à cette époque en Amérique latine. Un Festival qui devient le croisement des regards sur le Siècle d’Or depuis les cultures, langues et traditions théâtrales du monde.Sans aucun doute Ignacio Garcia, avec sa vaste connaissance du théâtre classique et son expérience de la scène internationale, est-il un homme providentiel pour le Festival d’Almagro où il a travaillé, comme metteur en scène et concepteur de musique, dans 14 éditions en 20 ans.

Irène SadowskaTa direction du Festival d’Almagro représente-t-elle un changement radical de la philosophie des programmations ou s’agit-il simplement de les adapter à ton projet artistique ? Quelles sont les grandes lignes de ton projet pour le Festival ?

Ignacio Garcia – Ce n’est pas tout à fait un changement radical mais plutôt une réorientation résolue. Natalia Menendez  et son équipe ont fait un excellent travail en créant entre autres la Fondation du Festival, de sorte que nous avons désormais une certaine indépendance de gestion. Le grand mérite de Natalia était de laisser le Festival sans déficit, mieux, dans une très bonne situation financière. Il y a des lignes impulsées par Natalia  Menendez, comme l’ouverture au jeune public et aux nouveaux créateurs que nous allons maintenir absolument. Tout comme la présence de la Compañia Nacional de Teatro Clasico qui est un axe fondamental de la programmation, la participation du Musée National du Théâtre avec des expositions, les Journées du Théâtre Classique de Castilla et la Mancha organisées depuis 26 ans. Tout cela constitue une ligne patrimoniale. Ce que je veux c’est d’étendre la vision du Siècle d’Or. Il y aura moins de Shakespeare et de certains autres auteurs étrangers pour donner plus d’espace aux auteurs autochtones. Par exemple cette année on va célébrer le 400e anniversaire de naissance de Agustin Moreto, un des plus importants auteurs du Siècle d’Or, après Lope de Vega, Calderón et Tirso de Molina. Agostin Moreto malheureusement reste peu connu. Si nous à Almagro ne donnons pas un coup de projecteur sur son œuvre, personne ne le fera. Je veux que le Festival contribue à enrichir l’écosystème théâtral en proposant une diversité de regards, les nôtres et ceux des étrangers, sur les classiques, à travers les diverses versions, qu’elles soient très modernes ou plus classiques, dramatiques ou comiques. Un autre de mes objectifs est d’amplifier la connotation du Siècle d’Or à la littérature mystique espagnole, unique au monde, à la littérature picaresque, à certains phénomènes artistiques espagnols qui ne sont pas purement théâtraux.

I. S.Un des grands défis de ton projet est de renforcer l’identité internationale du Festival et sa présence dans le monde. Avec quels moyens et quelles stratégies vas-tu le réaliser ?

I. G. -Le patronage du Festival m’a offert sa direction en connaissant ma trajectoire avec le répertoire classique espagnol à l’étranger et en me demandant de renforcer sa présence dans le monde. Pour y arriver le Festival doit proposer des choses que l’on ne peut pas voir dans d’autres festivals. Notre proposition est qu’en quatre semaines le public puisse voir tout le Siècle d’Or. Par exemple cette année Calderón, Lope de Vega, Cervantès, Sor Juana de Ines, Agustin Moreto, Juan Ruiz Alarcon, Fray Luis de Leon, Santa Teresa, Maria de Zayas, certains de ces auteurs peu connus ne sont jamais représentés. Je veux donner une vision très vaste de ce répertoire classique que nous partageons avec l’Amérique latine. De fait, l’Amérique latine va être un axe fondamental d’aller et retour : des compagnies d’Amérique latine viendront à Almagro avec des productions de classiques du Siècle d’Or et réciproquement certaines productions du Festival iront là-bas. Nous voulons susciter ainsi une réflexion sur ce que signifie la langue espagnole ici et là-bas. Comment on parle l’espagnol au Mexique, comment dit-on les vers de Lope de Vega ou de Calderón en Colombie, en Argentine ou au Pérou ? Je veux que le Festival d’Almagro défende le patrimoine. Comme n’importe quelle compagnie dans le monde aspire à aller avec son Shakespeare à Stratford, de même que n’importe quelle compagnie du monde qui crée Moreto ou Calderón puisse venir avec son spectacle à Almagro. C’est la meilleure façon de renforcer l’identité internationale du Festival. Cette année nous présenterons le nouveau projet du Festival et sa programmation en Amérique du Nord, en Amérique latine et en Europe pour que les artistes, les compagnies, les journalistes et les spectateurs à l’étranger connaissent ses objectifs.

I. S. – Comment l’édition 2018 reflète-t-elle ton nouveau projet pour le Festival ?

I. G. – Je veux que cette première année soit très symbolique de l’esprit du Festival. La présentation va coïncider avec le 400e anniversaire de naissance de Moreto. Nous donnons dans la programmation beaucoup d’importance aux liens très forts avec la Compañia Nacional de Teatro Clasico. Le Prix du Festival sera plus étroitement lié avec le Siècle d’Or. Je souhaite qu’en lisant le programme du Festival les gens comprennent immédiatement que nous sommes dans l’espace hispanique du XVIe et XVIIe s, incluant les œuvres des auteurs qui ont écrit au Mexique, en Colombie, au Pérou. Par exemple au Pérou il y avait une littérature écrite dans un mélange d’espagnol et de quetchua. Cela est aussi un patrimoine que nous voulons valoriser et faire découvrir. Il s’agit d’inverser la direction de la colonisation. Pendant 500 ans nous avons amené là-bas notre culture et notre théâtre. À la colonisation nous allons substituer le dialogue d’égal à égal, par exemple cette année avec la Colombie, premier pays invité qui aura une présence très ample : spectacles de théâtre, concerts, expositions, livres. De sorte que le public pourra avoir une vision plus panoramique et profonde de la culture colombienne. Chaque année nous inviterons un autre pays latino-américain en ouvrant ainsi les frontières et en créant des ponts culturels.

I. S. – Tu es un metteur en scène prolifique qui ne cesse de multiplier chaque année ses travaux en Espagne et à l’étranger. Comment vas-tu concilier les responsabilités de directeur du Festival d’Almagro avec tes engagements de metteur en scène ? Vas-tu t’impliquer dans la programmation du Festival en mettant en scène une pièce ?

I. G. – Obligatoirement j’ai dû annuler plusieurs de mes mises en scène au Mexique, en Jordanie, en Finlande. Je vais faire moins de mises en scène en maintenant en particulier des projets ayant à voir avec le Siècle d’Or, en profitant de mon travail en dehors d’Espagne pour me faire l’ambassadeur du Festival. Par exemple les liens et les contacts que nous avons avec les théâtres et les festivals en Amérique latine résultent de mon travail pendant plusieurs années là-bas. Quant à mettre en scène une pièce dans le cadre de la programmation du Festival, pour le moment nous n’avons pas de moyens pour produire nos propres spectacles.

I. S. – Comment ton travail à l’étranger va-t-il renforcer l’impact international du Festival ?

El Quijote Kathakali

I. G. – En continuant à faire des spectacles avec des textes du Siècle d’Or dans d’autres pays il est probable que certains d’entre eux pourront venir à Almagro, de même que certains spectacles du Siècle d’Or créés par d’autres metteurs en scène. Nous avons également des projets communs avec des théâtres et des festivals à l’étranger, par exemple en Pologne, au Portugal, en Estonie. Il y a des projets de création de textes du Siècle d’Or dans plusieurs pays : aux États-Unis, en Angleterre, au Mexique, en Argentine, en Inde, que j’aimerais relier avec notre Festival en les faisant venir à Almagro. Le spectacle El Quijote Kathakali que j’ai fait en Inde avec les acteurs autochtones, une coproduction avec le Festival d’Almagro, va aller cette année au festival de Guanajuato. Nous sommes en train de faire avec plusieurs festivals du monde un accord de collaboration, de sorte qu’une partie de la programmation d’Almagro soit présentée dans ces festivals. Mon ambition est de faire du Festival d’Almagro un point névralgique du théâtre du Siècle d’Or où vont converger et se croiser les différentes visions et lectures des classiques depuis des cultures très diverses. J’ai parlé avec une magnifique metteur en scène australienne sur une possibilité de faire Fuente Ovejuna de Lope de Vega avec les aborigènes australiens.

I. S. – Les spectateurs locaux représentent une partie importante du public du festival. Les municipalités de la région ont développé, ensemble avec le Festival, une politique en faveur du théâtre. La dernière édition du Festival, sous la direction de Natalia Menendez, avait comme devise « respirer le théâtre », ce qui veut dire aussi impulser au Festival un nouveau souffle en intensifiant les relations avec son public, en particulier celui de proximité…

I. G. – Almagro reflète les transformations des municipalités à travers la culture. Le Festival leur a apporté une richesse immatérielle et spirituelle énorme. Les adultes et les enfants des autres villes et villages de la Mancha ont vécu ensemble depuis 40 ans avec les acteurs, ont pu voir chaque soir un spectacle différent et rencontrer dans les rues des artistes internationaux comme Vanessa Redgrave, Michel Piccoli, des acteurs de la Comédie Française, du Piccolo Teatro de Milan, de la Royal Shakespeare Compagny ou de la Schaubühne. C’est impressionnant que par cette petite ville a passé le monde entier théâtral. C’est pour cela que ce public est fondamental. Notre offre est très globale et très éclectique avec des spectacles nationaux, internationaux mais aussi des groupes de théâtre ou de musique régionaux. De sorte que les artistes et les spectateurs étrangers peuvent découvrir notre culture populaire. Nous allons envahir toute la ville : places, rues, jusqu’à la piscine municipale, avec des spectacles, livres, lectures publiques de textes du Siècle d’Or. Qu’on puisse entendre des vers de Cervantès, de Tirso, de Sor Juana dans les marchés et dans d’autres lieux de la ville. Un appui de la Deputacion Provincial de Ciudad Real qui, comprenant que Festival à Almagro est un privilège que les autres villes n’ont pas, aide non seulement les déplacements des habitants de ces villes au Festival mais aussi l’achat de billets de théâtre. Plusieurs acteurs, auteurs, créateurs de lumière, sont originaires de La Mancha. Nous souhaitons que cela soit aussi une raison d’orgueil local.

« Enrico VIII » d’ après « La cisma de Inglaterra »  de Calderon.                                                                  Mise en scène de Ignacio Garcia

I. S.Le Festival offre non seulement une grande diversité de lectures et d’approches scéniques des classiques mais aussi une perspective sur l’évolution des regards sur le Siècle d’Or. Dans ce sens, il est à la fois une mémoire du théâtre et la « fabrique » du présent et de l’avenir, avec de nouvelles propositions scéniques. Vas-tu réserver plus de place à ces propositions novatrices, parfois polémiques, provocatrices ?

I. G. – Sans doute. Je souhaite que les approches des classiques soient très diverses et très contemporaines, qu’on fasse par exemple Calderón avec du hip-hop ou avec la musique et la danse, ou que quelqu’un danse sur les poèmes de Sor Juana de Inès. De fait, le théâtre du Siècle d’Or est un spectacle intégral, comme le baroque français, où la musique, le chant et les paroles forment un tout. Ce qui est intéressant c’est la confrontation des regards différents : contemporain et plus classiques, sur notre patrimoine. Par exemple la Compañia Nacional de Teatro Classico vient cette année avec six productions dont certaines sont des traitements assez osés de ce répertoire. De Colombie viennent des versions très tropicales de Cervantès, de Calderón et de San Juan. Je crois que Almagro est très représentatif des transformations qu’a vécu notre pays durant les 40 dernières années sur le plan politique, social et culturel.

I. S. – Natalia Menendez a intégré dans le Festival une partie plus théorique, critique, de réflexion sur le théâtre et les spectacles de la programmation. Ces rencontres jusqu’à présent spécifiquement professionnelles, ne devraient-elles pas s’ouvrir aussi au public initié afin qu’il participe au débat ?

I. G. – Nous conserverons certaines rencontres en modifiant la forme des autres. Ainsi les Journées de théâtre de Castilla et La Mancha seront-elles dédiées cette année à Agustin Moreto et à son œuvre. Je suis d’accord qu’il faut intégrer le public le plus possible dans la réflexion et le débat sur la création artistique. Je pense également que des rencontres dans lesquelles participeraient les critiques et les artistes pourraient nous aider à mieux connaître et comprendre la pratique théâtrale. De même j’aimerais qu’il y ait des journées ou des rencontres auxquelles participeraient les critiques, les artistes et le public, dédiées à la réflexion sur un thème ou une réalité théâtrale particulière. Par exemple : pourquoi à l’étranger on ne joue pas plus Calderón malgré la qualité indiscutable de ses œuvres ? Est-ce parce qu’il est mal traduit ? Parce qu’il est mal diffusé ? Parce qu’on a vendu l’image de Calderón contre réformiste ? Pourquoi les Britanniques ont-ils réussi à porter Shakespeare dans le monde entier ? Pourquoi nous ne savons pas valoriser et promouvoir notre patrimoine culturel ? Il y a plusieurs autres thématiques intéressantes à traiter, comme celle de la pensée philosophique dans les œuvres de certains auteurs du Siècle d’Or où celle de la présence et de l’apport des femmes auteurs, actrices et metteurs en scène au théâtre de cette époque, ce qui est un phénomène spécifiquement espagnol.

Note

Né en 1977 à Madrid Ignacio Garcia, formé à l’École Royale Supérieure d’Art Dramatique à Madrid, a débuté comme metteur en scène en 1996 au théâtre en montant des œuvres les grands classiques espagnols et étrangers ainsi que de nombreux auteurs contemporains comme Max Aub, Enrique Javier Poncela, José Bergamin, Jose Luis Alonso dos Santo, Ernesto Caballero, et pour les auteurs étrangers Machiavel, Shakespeare, Kataiev, Oscar Wilde, Dario Fo et d’autres. Dans le champ du théâtre lyrique il a monté plus de 30 opéras du répertoire depuis Monteverdi, Verdi, Puccini, Donizetti, Rossini, Massenet jusqu’à Stravinski, a fait cinq créations mondiales d’opéras entre autres Orfeo de Jesus Rueda et Un parque de Luis de Pablo et a mis en scène plusieurs œuvres du répertoire de la zarzuela. Il est probablement le metteur en scène espagnol le plus voyageur, partageant en permanence son travail entre l’Espagne et des théâtres et opéras dans de nombreux pays du monde sur quasi tous les continents.