11 -14 janvier 2017 , Teatro Real de Madrid
Le Corsaire (El Corsario), ballet en 3 actes et 5 scènes par le Wiener Staatsballet de Vienne
Chorégraphie Manuel Legris d’après Marius Petipa et autres; scénographie et costumes Luisa Spinatelli; dramaturgie et livret Manuel Legris et Jean François Vazelle; musique, composition d’Adolphe Adam, et autres choisies par Manuel Legris et arrangées par Igor Zapravdin; direction musicale Valery Ovsyanikov.
La venue au Teatro Real de Madrid de la nouvelle création du célèbre ballet Le Corsaire, avec une chorégraphie de Manuel Legris, directeur du Wiener Staatsballett de l’Opéra de Vienne, est un événement à plusieurs titres. Il s’agit d’une recréation de ce ballet classique remodelé, modernisé à la fois sur le plan dramaturgique, chorégraphique et musical, pour le ballet de l’Opéra de Vienne, rénové par son directeur depuis 2010, Manuel Legris. Avec cette première visite au Teatro Real depuis sa venue en 2000 avec Manon de Keneth MacMilian le Wiener Staatsballett entame avec Le Corsaire, créé en mars 2016 à Vienne, sa première grande tournée internationale depuis la direction de Manuel Legris. Après un accueil triomphal de ce nouveau Corsaire à Vienne la saison dernière, autant par les spécialistes, la critique que par le public, Madrid s’enthousiasme pour ce ballet restitué à la scène dans une vision modernisée. Pour sa recréation du Corsaire Manuel Legris, danseur étoile à l’Opéra de Paris jusqu’en 2009, interprète sur les plus grandes scènes du monde entre autres des chorégraphies de Balanchine, Béjart, Trisha Brown, Mats Ek, William Forsythe, Jiri Kylian, Keneth MacMilian, Rodolf Noureev, Roland Petit, Angelin Preljocaj, s’est entouré pour cette « renaissance » du Corsaire de collaborateurs d’excellence : Jean-François Vazelle dans la réécriture de la dramaturgie et du livret, Igor Zapravdin pour l’arrangement de la nouvelle partition basée sur celle d’Adolphe Adam avec les remaniements et les ajouts faits à la musique d’origine, enfin Luisa Spinateli enfin dont la scénographie et les costumes ont inspiré énormément sa chorégraphie.
Sans oublier l’apport du savoir et de l’expérience du chef d’orchestre Valéry Ovsyanikov, directeur musical depuis 1990 de l’Académie Vaganova de Ballet, qui a travaillé au Théâtre Mariinski à Saint-Pétersbourg et au théâtre Mikhaïlovski, en dirigeant également des orchestres dans de nombreux pays du monde. Le corsaire de Manuel Legris doit sa réussite avant tout à l’excellence du Wiener Staatsballett dont les danseurs conjuguent dans leur interprétation la perfection technique avec le sens profond de l’esthétique et de l’expression dramatique des œuvres.
Le Corsaire est représenté avec 3 distributions importantes comptant chacune 65 danseurs plus des figurants. Le poème épique en 3 chants de Lord George Gordon Byron, publié en 1814, a inspiré plusieurs œuvres musicales dont l’ouverture Le Corsaire de Berlioz, l’opéra en 4 actes Le Corsaire (1848) de Verdi et en 1856 fut adapté par Adolphe Adam pour Le Corsaire, ballet de Joseph Mazillier avec un livret de Jules Henri Vernoy de Saint Georges. Après sa création à Saint-Pétersbourg en 1863 par Marius Petipa Le Corsaire, devenu très célèbre et populaire (rappelons entre autres grands interprètes Margot Fonteyn et Rudolf Noureev) a disparu étrangement des scènes durant des décennies et jusqu’en 2016 n’a jamais été interprété dans sa version intégrale. Le livret de Jules Henri Vernoy de Saint-Georges est un véritable roman d’aventures romantique, pittoresque, très complexe avec beaucoup de personnages, enlèvements, assassinats, trahisons, intrigues d’amour, coups de théâtre multiples, divers lieux d’action.Manuel Legris simplifie la dramaturgie du ballet, la concentre autour des 3 histoires d’amour, la rend lisible en modifiant certains endroits et le final. Dans sa chorégraphie Manuel Legris conserve 25 % de celle de Marius Petipa, le reste est sa propre création. Il garde le célèbre pas de deux de Conrad et de Medora du IIe acte, transforme le pas de deux des esclaves en pas de cinq, fait des changements dramaturgiques dans les variations et dans la pantomime. La partition est adaptée à la version chorégraphique actuelle, intégrant d’autres musiques du même compositeur, sélectionnées par Legris et arrangées par Igor Zapravdin. Marius Petipa lui aussi procédait à de semblables aménagements. La scénographie de Luisa Spinatelli est d’une grande simplicité : une série de toiles peintes et quelques éléments scéniques qui apparaissent dans certains tableaux, suggèrent les lieux d’action.
Dans le prologue musical, sur le rideau à l’avant-scène on voit le pont du bateau de Conrad dans la tempête. Le rideau se lève, la toile peinte au fond représente un paysage au bord de la mer, une plage avec au fond un petit escalier. Un groupe de femmes danse mais cette apparente quiétude est bouleversée par l’irruption des marchands d’esclaves qui enlèvent Medora et Gulnare pour les vendre au marché d’esclaves qui est évoqué par une toile peinte, image d’un portique ottoman, sur scène une carriole avec de la marchandise et à droite le siège du Pacha. Atmosphère très pittoresque du marché, costumes très colorés, orientalisants, pas de deux, pas de cinq, pantomime très expressive des marchands d’esclaves vantant la beauté de Medora et de Gulnare qu’ils vendent au Pacha. Dans le tableau suivant la toile peinte représente une grotte, repère du corsaire Conrad qui a enlevé Medora dont il est follement amoureux. Une partie de ses hommes avec le marchand d’esclaves, se rebellent contre lui et enlèvent Medora. On retourne ensuite dans le palais du Pacha avec au fond une toile peinte évoquant un jardin oriental avec quelques arcades. Les bayadères, Gulnare et Medora récupérée par le Pacha, dansent devant lui, la magie de la danse, séduction, grâce, « tout est luxe, calme et volupté » comme dit le poète. Mais voilà un nouveau coup de théâtre: Conrad et ses hommes, déguisés en pèlerins, arrivent par l’avant-scène, devant le rideau, et se font introduire dans le palais où le Pacha les accueille. Les corsaires passent à l’attaque, Conrad tue son rival (belle et inventive chorégraphie du combat) et enlève Medora. Suit une magnifique image de Conrad et Medora sur un bateau (représenté par un fragment du bateau) qui, agité dans la tourmente, fait naufrage. Dans la dernière scène on les voit, rescapés du naufrage, évanouis sur la plage, reprenant leurs esprits et s’enlaçant dans un mouvement d’une beauté sculpturale. Bien que la partition d’Adolphe Adam ait été un peu remaniée, il y reste encore des passages assez pompiers (très valse viennoise à la mode à l’époque) qui pourraient être remplacés par d’autres musiques. Mais il y a aussi dans la partition des moments sublimes, d’un grand lyrisme, relevés génialement par Legris dans sa chorégraphie. Une chorégraphie qui permet aux danseurs du Wiener Staatsballett de faire montre de leur perfection technique et esthétique. Une chorégraphie narrative, expressive, particulièrement dans les scènes pantomimiques, inventive dans les images sculpturales des pas de deux souvent quasi aériens, sublime dans la série de magnifiques solos du IIIe acte. Dans son Corsaire Manuel Legris apporte à la fois une nouvelle lecture et un traitement brillant d’un grand classique.