L’art de conjuguer le goût du risque et les grands hits du répertoire

La saison 2017 / 2018 à l’Opéra de Madrid

         Audace des programmations, excellence artistique, multiplication des productions et des coproductions avec les plus grandes scènes lyriques internationales et conquête de nouveaux et surtout jeunes publics, sont les piliers de la politique menée depuis ces dernières années sous la direction artistique de Joan Matabosch, du temple de l’art lyrique madrilène.

        La programmation de la saison 2017 / 2018 qui s’inscrit dans la célébration du bicentenaire du Teatro Real et du 20 e. anniversaire de sa réouverture après rénovation, renforce ses défis en donnant plus de place encore à la création contemporaine et aux artistes audacieux, novateurs qui rompent avec les conventions mais aussi en rappelant les grands moments opératiques, des œuvres classiques revisitées qui ont marqué l’histoire récente de ce théâtre.

       Une programmation très chargée qui promet des surprises. En tout 260 représentations, 110 d’opéras, 28 de danse, le reste des concerts, des récitals.  Au chapitre de la danse le Royal Ballet de Londres vient avec une nouvelle chorégraphie de Liam Scarlett du Lac des cygnes, le Dresden Frankfurt Dance Company avec quatre œuvres chorégraphiées par Jacopo Godani : Metamorphers, Echoes from a Restless Soul, Posgenoma, Moto Perpetuo et deux grandes compagnies espagnoles : la Compagnie Victor Ullate qui revisite prodigieusement le thème de Carmen et le Ballet National de España dirigé par Antonio Navarro avec sa création Sorolla chorégraphiée par Arantxa Carmona, Miguel Fuente, Manuel Liñan, Antonio Navarro sur des musiques de Juan Jose Colomer, Paco de Lucia, Enrique Bermudez.

          Parmi les concerts et récitals entre autres ceux de Magdalena Kozena, Patrizia Ciofi, Angela Gheorghiu, Jonas Kaufmann ou encore un concert lyrique de Ute Lemper. Au-delà des productions propres du Teatro Real, plusieurs opéras sont des coproductions avec des grands théâtres lyriques dont le Grand Théâtre du Liceu de Barcelone, le English National Opéra de Londres, Le Vlaamse Opéra de Amberes, le Teatro San Carlo de Naples, l’Opéra de Monte-Carlo, l’Opéra de Köln.

Lucio Silla © A. Bofill

         La saison ouvre avec Lucio Silla, opéra de Mozart très peu joué, qui réunira Claus Guth pour la mise en scène et Ivor Bolton dans la fosse. Un tandem à toute épreuve qui nous a ébloui la saison 2016 / 2017 avec Rodelinda de Haendel. Dans sa programmation cette saison exceptionnelle, commémorative du bicentenaire de l’Opéra, Joan Matabosch, son directeur artistique, joue subtilement sur le rappel des grandes œuvres du répertoire chères au grand public mais revues avec un regard d’aujourd’hui et des créations d’œuvres contemporaines audacieuses autant pour leur modernité musicale que pour les thèmes qu’elles abordent. Ainsi parmi les grands hits du répertoire : Aïda de Verdi (co production du Lyric Opéra de Chicago et du Teatro Municipal de Santiago de Chile) dans une mise en scène de Hugo de Ana et la direction musicale de Nicola Luisotti, La bohème de Puccini (coproduction de la Royal Opera House et de la Lyric Opera de Chicago) mise en scène de Richards Jones et direction musicale de Paolo Carignani, Carmen de Bizet (production de l’opéra de Paris), dans une mise en scène décoiffant de Calixto Bieito qui dépouille l’opéra des symboles stéréotypés et situe l’action dans les années 1970 dans un monde militarisé et en permanente transformation. À l’affiche également Lucia di Lammermoor de Donizetti (production du English National Opera) mise en scène par David Alden qui remoue toujours le public madrilène et à la baguette Daniel Oren.

Lucia di Lammermoor/ English National Opera © Robert Workman

         Trois opéras seront donnés en version concert : Ariodente de Haendel avec William Christie au pupitre, La Favorite de Donizetti, direction musicale de Daniel Oren et Thaïs de Massenet, direction musicale Patrick Fournillier avec le grand Placido Domingo qui se produit chaque saison sans exception au Teatro Real de sa ville natale. Au chapitre des œuvres contemporaines il ne manque pas celle de Benjamin Britten un des compositeurs préférés de Joan Matabosch et programmé quasi chaque saison à l’Opéra. Cette fois c’est Gloriana (coproduction avec l’English National Opera de Londres, le Teatro San Carlo de Naples et le Palau de Los de les Arts de Valencia) mise en scène par David McVicar et à la direction musicale l’incomparable Ivor Bolton. Gloriana met en scène les dernières années du règne de Élisabeth Iere d’Angleterre, prisonnière de ses contradictions et du conflit entre sa vie publique et privée, en portant un regard très critique sur la monarchie. Pour Joan Matabosch présenter cet opéra oublié pendant des décennies était une priorité absolue autant pour l’actualité de son propos que pour ses grandes qualités musicales.

          Parmi les œuvres contemporaines on verra également pour la première fois au Teatro Real Street scene de Kurt Weill (coproduction de l’Opéra de Monte-Carlo et de l’Opéra de Köln) mise en scène par John Fulljames, direction musicale de Tim Murray. Ce premier opéra de Kurt Weill, composé immédiatement à son arrivée aux États-Unis, traite de la misère humaine dans les bas-fonds de New York. Dead Man Wallking de Jake Heggie (production de la Lyric Opéra de Chicago) mise en scène Leonardo Foglia, direction musicale Mark Wigglesworth, est une œuvre sur la peine de mort, la rédemption et l’empathie. Inspiré par la pièce Les soldats de Jacob Lenz, Die Soldaten, l’unique opéra de Bern Aloïs Zimmermann, une des œuvres clefs du XXe s., a été écarté des scènes pour ses difficultés techniques, la radicalité du propos et son défi à la mise en scène. Ce défi est relevé par l’audacieux Calixto Bieito et la direction musicale assurée par Pablo Heras Casado dont on a déjà apprécié à plusieurs reprise le talent. Enfin pour couronner le tout la création mondiale de Pintor (Peintre) hommage à Picasso, composé en 2016 par Juan Jose Colomer, livret d’Albert Boadella. L’opéra est une commande d’Albert Boadella qui en assure la mise en scène et Manuel Coves la direction musicale. Cet événement est une production du Teatro Real et des Teatros del Canal de Madrid.

En somme une saison de découvertes et de grandes émotions.