Se tuer peut nuire à la beauté

Du 13 au 15 avril 2018, Teatro Español de Madrid; 26 – 27 septembre,  Festival des Francophonies, Limoges; 4- 6 octobre, Amsterdam

La fureur de ce que je pensetexte Nelly Arcan (Collage) adaptation et mise en scène Marie Brassard

Une production de : Infrarouge en coprodution avec Théâtre français du CNA (Ottawa), Festival TransAmériques (Montréal), PARCO (Tokyo). Avec le soutien du Conseil des Arts du Canada, Conseil des Arts et des Lettres du Québec et Conseil des Arts de la Ville de Montréal.

Plus que le mal de vivre, le texte, écrit par la jeune romancière provocante de Montréal, Nelly Arcan, avant son suicide, est une confession de l’atroce douleur de vivre et un appel de la mort. Nelly Arcan y crie son horreur de la vie face aux injustices de la condition humaine et face à la pression de la société actuelle sur la femme. Marie Brassard, actrice, metteur en scène et dramaturge, qui a travaillé pendant plusieurs années avec Robert Lepage, crée, avec sa compagnie Infrarouge, fondée en 2001, La fureur de ce que je pense de Nelly Arcan. Un texte testamentaire où, dans une écriture crue, violente, sans aucune concession et avec une extrême intransigeance, Nelly Arcan consigne l’intensité de sa souffrance, sa solitude de femme et d’artiste.

Le spectacle de Marie Brassard, héritière du langage scénique polyphonique, intégrant de nouvelles technologies, de Robert Lepage, est une partition théâtrale, tissage de la parole, la musique, le bruit, le chant, l’image, la danse et la lumière.

Après une série de représentations de La fureur de ce que je pense au Japon, en japonais, le spectacle entame, avec la primeur à Madrid au Teatro Español, sa tournée européenne. Il est invité en France au Festival des francophonies à Limoges. La biographie et la personnalité de Nelly Arcan (1973 – 2009), suicidée à 36 ans, est un nœud de paradoxes et de contradictions, reflet de ceux de la société canadienne normative et prohibitive, avec un excès de lignes rouges à ne pas dépasser, et un mouvement féministe, un des plus extrêmes. Une cage dans laquelle Nelly Arcan n’a cessé de se débattre en accumulant les conflits. Écrivain reconnu, plusieurs de ses livres ont été publiés en France et nominé au Prix Femina et Médicis. Autant son écriture, en majorité auto fictionnelle, que sa vie désordonnée, provocante, avec entre autres l’expérience de la prostitution, sont marquées par ses obsessions de la beauté parfaite, du sexe et de la mort. Les thèmes récurrents de son œuvre, concentrés dans La fureur de ce que je pense sont : influence de l’image chez les femmes, marchandisation du corps, suicide, pulsion de destruction, préoccupation par la beauté, rivalité entre les femmes. Marie Brassard ne cherche pas à représenter la biographie de Nelly Arcan dans son spectacle. Sa trame textuelle est constituée par un collage de fragments de textes de La fureur de ce que je pense, une sorte de mosaïque poétique, visuelle et sonore, d’une existence convulsive, disloquée, s’auto détruisant.

Six actrices et une danseuse tentent de recomposer, de ces fragments de vie disparates, un portrait fuyant d’un être rompu, cherchant dans l’obscurité un peu de lumière. L’univers fragmenté de la personnalité de Nelly Arcan se traduit avec une parfaite cohérence dans la scénographie de Antonin Sorel. Le plateau dépouillé avec seulement huit boîtes superposées sur deux niveaux, avec une vitre devant, chacune représentant un lieu différent : chambre, toilettes, bain, etc.

Les six actrices jouent dans les boîtes, parfois en changent. La danseuse se déplace entre les boîtes, parfois y pénètre. Les actrices portent des robes élégantes, certaines de soirée, évoquant le goût et la recherche de l’esthétique de Nelly Arcan. Comme si sa personnalité se réfractait en plusieurs voix, le texte est réparti entre les actrices qui le disent avec un micro, tantôt sous forme de monologue, tantôt de façon chorale, parfois se répondent comme en dialoguant. La boîte, ou plusieurs boîtes, s’éclairent pendant que leurs occupantes parlent. Les boîtes, espaces fermés, sont des images de la solitude de l’artiste, de son éloignement des autres, fragilisée par le regard des autres mais aussi par son impudique mise à nu. Dans cette partition textuelle s’insèrent, à certains moments, chansons, voix déformées sur un fond de musique, effets sonores et lumineux. La douleur de vivre, l’incapacité d’être heureuse, des expériences sexuelles, le désir de correspondre à l’image d’une beauté parfaite, l’incompréhension des autres, sont quelques-uns des leitmotivs de ce requiem pour la mort d’une prisonnière qui tentait en vain de briser la cage des normes, des convenances, des regards des autres.

Crédit photo: Teatro Español