Festival de Mérida: les regards contemporains sur les figures mythiques et historiques grecques et romaines

Du 29 juin au 26 août 2018 64e Festival International de Théâtre Classique de Mérida

La 64e édition du Festival International de Théâtre Classique de Mérida, présenté fin mars dans le lieu même du Festival, le 14 mai à Lisbonne et le 24 mai à Bruxelles, réaffirme son exploration du potentiel contemporain des œuvres classiques grecques et romaines, leur capacité de mutation entre le théâtre, le cinéma et la danse, consolide l’extension de sa programmation à d’autres sites romains dans les environs de Mérida, Medellín, Régina et Caparra, sans compter les lieux magiques de la ville : Le Temple de Diane, le portique du forum, les termes de la calle Pontezuela et la plaça de Naranjos, destinés aux spectacles du off. Cette année, en primeur de sa programmation, quelques spectacles du festival sont présentés à Tarragone, dans le cadre des Jeux Méditerranéens en juin 2018. La programmation : 8 spectacles de théâtre et 2 de danse, dans laquelle on relève entre autres : Phèdre, Hippolyte, Néron, Philoctète, sera inaugurée le 29 juin par Electra de Antonio Ruz, la magnifique création du Ballet Nacional de Epaña dirigé par Antonio Najarro, dont j’ai rendu compte il y a quelques mois. 

Le plus ancien festival de théâtre en Espagne, le Festival International de Théâtre Classique de Mérida, fondé en 1933, inauguré avec Médéa de Sénèque dans la version de Miguel de Unamuno, avec la mythique actrice Margarita Xirgu dans le rôle-titre, Fut suspendu en 1934 (période de turbulences et affrontements politiques qui débouchent sur la guerre civile). Еn 1954, il reprend vie en s’inaugurant avec Phèdre. Tandis que le Festival d’Almagro est centré sur le théâtre classique moderne (auteurs espagnols et étrangers du XVIe et XVIIe s.) le Festival de Mérida présente principalement des œuvres des auteurs antiques grecs et latins, sans pour autant perdre de vue le patrimoine classique moderne. Ainsi par exemple, a-t-on pu y voir en 2008, un inoubliable Avare de Molière, monté par Jorge Lavelli. Au fur et à mesure, dans ses programmations, se sont imposées des versions modernes et des réécritures des classiques depuis notre regard d’aujourd’hui sur ces textes. 

Jesus Cimarro

Jesus Cimarro, qui dirige le Festival depuis 2012, a amplifié cette tendance qui resitue le Festival dans une perspective clairement contemporaine. Peu de festivals fusionnent le patrimoine historique et théâtral comme c’est le cas de celui de Mérida, avec son monumental amphithéâtre romain (du Ier s. de notre ère), scène principale du Festival et plusieurs autres monuments de l’époque, devenus lieux de spectacles. Faire revivre les figures mythiques et historiques dans ce cadre, vestige de l’univers antique, en les intégrant dans notre monde contemporain, c’est la magie qui s’opère ici au moyen du théâtre.

Le théâtre fournit souvent des sujets et des personnages aux artistes d’autres disciplines artistiques. Le cinéma aussi.

Ainsi les grandes fresques théâtrales : Ben Hur, version Nancho Novo, mis en scène David Ottone et Juan Ramos Toro, et Néron d’Eduardo Galan, mis en scène par Alberto Castrillo Ferrer, qui seront des événements du Festival, sont-elles inspirées par des films qui ont marqué l’histoire du cinéma. Ben Hur (du 4 au 8 juillet) création de la compagnie renommée Yllana, fidèle au contenu du roman de Lewis Wallace, est un voyage dans tous les lieux communs de l’imaginaire collectif, avec de multiples aventures en « teatroscope ». Parodie, humour, usage intelligent du visuel, un jeu constant entre le langage cinématographique et théâtral sont quelques-uns des grands atouts de ce spectacle. Dans Néron (11, 15 juillet), inspiré du roman de Henryk Sienkiewicz et du film qui en a été tiré de textes de Pétrone, Suétone, Eduardo Galan montre un autre versant du fameux empereur, tyran cruel, prétendument incendiaire de Rome, assassin de plusieurs membres de sa famille, etc.

C’est un Néron artiste, esthète, visionnaire, qui en réalité n’était pas l’auteur de l’incendie de Rome mais en a profité pour la reconstruire à son gout. Figure de transgression, image emblématique des fous sanguinaires qui, tout au long de l’histoire, n’ont cessé d’opprimer les peuples tout en étant adulés par les masses aveugles et soumises. Pouvoir, art, politique et folie, tout cela se fond dans Néron.

Le grand acteur comique El Brujo, Rafael Alvarez, propose dans Eschyle, naissance et mort de la tragédie, (du 18 au 22 juillet) une traversée pleine d’humour de l’univers du père du théâtre grec.

Dans la version contemporaine de Jordi Casanovas de Philoctète de Sophocle (25, 29 juillet), mise en scène Antonio Simon, le héros grec trahi par ses compagnons, symbole de l’injustice, renvoie aujourd’hui à la problématique de l’impunité, de l’usage de la justice et du pouvoir par les politiques pour leur propre profit.

Le jeune et déjà renommé auteur, Paco Bezerra, (lauréat du Prix National de Littérature Dramatique), propose une version contemporaine de Phèdre (du 1er au 5 août) mise en scène par Luis Luque. Dépouillée de scrupules, n’écoutant que la passion qui la dévore, Phèdre est une femme combative, exempte de culpabilité, qui ose aimer et en parle sans retenue. Dans la problématique de la passion dévastatrice Paco Bezerra insère le thème de la légitimité et de la rivalité pour le pouvoir entre Hippolyte et Acamante, fils de Phèdre et de Thésée. Les arts visuels et la musique sont les protagonistes importants de cette création. Comme en dialogue avec Phèdre de Paco Bezerra, Hippolyte, d’après Euripide, dans une version de Isidro Timon et Emilio del Valle, mise en scène de ce dernier, (22, 26 aout) est une lecture contemporaine d’Hippolyte, objet de la passion irrésistible de Phèdre. Le spectacle est basé sur l »affrontement entre l’amour de Phèdre pour Hippolyte, poussé au suicide par la peur de « qu’en-dira-t-on » et la résistance du jeune homme, image de la lutte permanente homme, femme, dans laquelle la femme se bat toujours à son désavantage.

Penthésilée de Von Kleist a inspiré une création chorégraphique Les Amazones (du 8 au 12 août) de Magüi Mira. Le mythe des femmes guerrières qui avec la force des armes se rebellent devant l’abus physique des hommes, est aujourd’hui d’une actualité inattendue avec le surgissement de nouveaux mouvements féministes, dont « Me too ». La loi de la tribu des Amazones, excluant et combattant les hommes, prohibant l’amour, n’est guère concevable dans la société moderne. Sur quelles bases et lois équitables peut-on envisager la réconciliation et une coexistence pacifique ?

La comédie de Plaute Les revenants (15, 19 août) version libre de Miguel Murillo mise en scène de Félix Estaire, apporte dans l’univers sombre des tragédies grecques, une bonne dose d’humour désopilant. Un millionnaire avaricieux, un valet astucieux, un fils niais et quelques professionnels de l’usure, luttent pour un butin qui passe de main en main. La société romaine du IIe s. avant notre ère, décrite par Plaute, est une photo exacte de la nôtre avec les affaires de corruption, des fraudes, des détournements des deniers publics. Miguel Murillo actualise dans sa version la pièce de Plaute avec des références aux affaires qui font la une des journaux. Les embrouilles, coups de théâtre, situations invraisemblables, se multiplient dans ce spectacle délirant.

Le dénominateur commun des versions des classiques grecs proposées par des auteurs d’aujourd’hui est l’interrogation des principes fondateurs de l’ordre politique, social et moral, patriarcal, dont nous sommes encore tributaires et dont la femme est la première victime.

Pourquoi perdurent-ils ? À qui profitent-ils ? D’où vient leur légitimité ? Notre libération véritable doit commencer par la mise en question de ces lois archaïques qui génèrent l’oppression, l’inégalité et les conflits. Révisons aussi le mythe de la fameuse démocratie grecque qui nous sert toujours d’exemple.