Oreste entre deux eaux (l’Orestea d’Eschyle  au Festival de théâtre européen, Grenoble, 1997)

      Note au préalable. En ce juillet 1997, quand je l’ai découvert au festival de Grenoble,  Roméo Castellucci est encore peu connu en France. Le choc est vertigineux, immédiat et irréversible. Aucun autre spectacle du génie italien que je vis  les années  suivantes  ne m’a pas impressionné autant.

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       La surprise de ce festival, créé par  metteur en scène Renata Scant il y a juste 13 ans,  qui tente de prouver que l’Europe du Théâtre  est  plus large que celle des multinationales et montrer  des formes de théâtre très plurielles, est venue  d’une belle inconnue nommée Sociatas Raffaello Sanzio, originaire de la petite commune italienne de Cesena, dirigée par Romeo Castellucci, jeune metteur en scène  à l’imagination prodigieuse et tourmentée.  L’Orestea d’ Eschyle est interprétée par ces italiens avec une liberté magnifique comme Antonin  Artaud et Francis  Bacon  auraient pu  l’imaginer ! Les références à Bacon sont d’ailleurs affirmées, non par le texte, mais par les corps, la chaire souffrante, défigurée, mutilée.  Ce sont des corps limites, en excès, qui prennent en charge le destin tragique de l’individu.  Castellucci  les chorégraphies  dans la nudité, femmes trop grosses, presque obèses, hommes très maigres, qui est aussi à comprendre comme signe  de la vulnérabilité humaine devant les Dieux.  Si Clytemnestre est obèse (« femme-baleine»), Agamemnon est un trisomique. Le point commun entre un trisomique et un Roi ? D’après Castellucci, tous les deux se différencient  de l’ensemble des mortels  et tous les deux  sont des coupables innocents.  Si la première partie est plutôt la cacophonie, mélange étrangement fascinant des  sirènes, des bruits d’ obus éclatés ou des voix déformées par les micro, la deuxième partie du spectacle est d’un silence absolu,  sans aucun son, ni texte. La scène est habillée de blanc, les corps talqués, page blanche sur laquelle Castellucci  dessine des silhouettes allongées d’Oreste et de Pylade  en confrontation  avec une masse ronde d’une grossissima  Electre en tutu.  Tout  ici est geste, tout ici est image, comme cette ascension au milieu de l’espace scénique d’une carcasse d’agneau (cf « Etudes pour  la crucifixion » de Bacon, la ressemblance avec l’artiste anglais se limitant à l’effet choquant, les images créées par Castellucci sont plus esthétiques). Et le style est proche des recherches actuelles en danse contemporaine sur la férocité des corps, sur leur violence expressive.

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       La troisième partie, la plus courte, est un condensé de ce que les Anciens appelaient L’Horreur. D’abord, l’apparition d’Apollon- torse effrayant sans bras sous les énormes ailes d’oiseau.  Ensuite, une espèce d’aquarium géant à l’intérieur duquel les babouins vivants  poursuivent Oreste effrayé, tandis que Pylade, impuissant, dans un haut  bonnet du Bouffon se démène au-devant de   la scène. Bref, quand à la fin, Athèna  libère Oreste et Electre, le spectateur, lui aussi ressent un immense soulagement : la catharsis par l’acte de la cruauté, si cher à Artaud, est si peu supportable.

Crédit photos: Festival de théâtre européen