Jusqu’à la lumière

16 – 30 janvier 2016À l’Opéra de Madrid (Teatro Real)

La flûte enchantée (Die Zauberflöte) de Wolfgang Amadeus Mozart

Mise en scène de Barrie Kosky avec Suzanne Andrade et Paul Barrit de la Compagnie 1927.

Distribution du 19 janvier 2016: Barbastro, basse – Christof Fischesser, Tamino, ténor, – Joel Prieto, La Reine de la nuit, soprano, – Ana Durlovski,soprane, Pamina – Sophie Bevan, Papageno, bariton – Joan Martin – Royo.  L’Orchestre et le Chœur du Teatro Real de Madrid sous la direction de Ivor Bolton

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        À l’arrivée au pouvoir de Léopold II W. A. Mozart tombe en disgrâce, écarté de la scène musicale il vit dans la misère. Le librettiste Emmanuel Schikaneder, maçon comme Mozart, soumet au compositeur l’idée d’un opéra sur le thème maçonnique qui devient La flûte enchantée, incarnation absolue du génie mozartien, son testament artistique, intellectuel et humain. L’œuvre est créée le 30 septembre 1791 à Vienne. Mozart meurt deux mois plus tard. Il écrit La flûte enchantée dans le genre Singspiel, forme opératique qui alterne les parties parlées et chantées, destinée à un public simple des quartiers populaires. Barrie Kosky, metteur en scène australien de renommée internationale, propose une vision scénique de La flûte enchantée d’une modernité surprenante en totale osmose avec l’esprit populaire du chef-d’œuvre mozartien qu’il transpose en un opéra cinéma, hommage au cinéma muet des années 1920 et en particulier à celui de Buster Keaton. Une idée extrêmement pertinente qui, plus de 2 siècles après la création, renouvelle la lecture de cet opéra en l’immergeant dans la culture populaire contemporaine.  Cette nouvelle lecture est remarquablement servie par la distribution plus que parfaite, l’orchestre et le chœur du Teatro Real sous la baguette de Ivor Bolton, directeur musical du Teatro Real, grand spécialiste de Mozart et depuis 2004 directeur de l’orchestre du Mozarteum de Salzbourg. Cette production, créée au Komische Oper de Berlin en 2012, continue depuis un tour du monde de façon quasi ininterrompue, dans de grands opéras et festivals d’Australie, d’Europe, d’Amérique du Nord, de Chine et après Madrid va à Paris, puis à Barcelone.

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     L’argument de La flute enchantée est un mélange de conte fantastique, mystique d’inspiration médiévale et d’idéologie maçonnique progressiste articulée dans l’opéra sur trois thèmes : fraternité, amour comme voie de connaissance et musique comme suprême forme de communication plus forte que la parole. C’est un voyage initiatique avec moult péripéties et épreuves à traverser sur la voie de la recherche de la connaissance et de la vérité. Un parcours que le prince Tamino fait en compagnie de Papageno de l’obscurité du royaume de la Reine de la Nuit à la lumière de la connaissance figurée par le temple à trois portes de Sarastro serviteur du Soleil. Les trois portes du temple portent les inscriptions : sagesse, raison, nature. Dans la mise en scène de Barrie Kosky il n’y a aucune allusion au maçonnisme ni à sa symbolique. Elle propose une diversité d’interprétation en recourant aux éléments de la culture populaire formant l’imaginaire d’aujourd’hui et en se servant de moyens techniques actuels intégrés dans le langage scénique. Dans la mise en scène de Barrie Kosky pas de décor traditionnel ni de conte de fée, allégorie morale. Sur le plateau nu juste un mur servant d’écran sur lequel sont projetées des images et les textes des dialogues parlés de l’opéra. Des panneaux tournant intégrés dans ce mur permettent de jouer dans la verticalité du plateau. En mettant ainsi l’opéra en dialogue avec le cinéma muet des années 1920 il crée un univers visuel peuplé de figures connues, populaires, des grands acteurs qui ont marqué l’imaginaire et font partie de la culture du grand public. Ainsi par exemple Tamino tient d’un amant beau et galant à l’image de Rudolf Valentino et Pamina de Louise Brook dans Lulu. Monostatos, monstre maléfique noir devient le vampire Nosferatu, Papageno est inspiré par le personnage et la gestuelle de Buster Keaton, la Reine de la Nuit, vêtement blanc ample sur lequel est projeté le dessin d’un squelette, Papagena en costume à paillettes, Sarastro, costume officiel des années 1920, chapeau haut de forme et petite barbe.

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       Barrie Kosky convoque dans cet univers virtuel qui nous est familier d’autres figures et personnages, entre autres ceux qui font partie du patrimoine du cinéma d’animation de Walt Disney : éléphants roses, chats, oiseaux, chiens, objets animés. Mais on est impressionné surtout par la création d’images animées avec des procédés techniques les plus sophistiqués de la Compagnie 1927 de Suzanne Andrade et Paul Barritt, artistes indépassables en la matière. Des images où la poésie féerique se conjugue avec l’humour et la magie. Les chanteurs interagissent avec les images projetées et le film d’animation qui sont à la fois des partenaires du jeu et les protagonistes de la trame dramatique. Ce procédé exige des chanteurs de grandes qualités d’acteurs, à la fois une spontanéité dans le jeu, une totale précision dans la synchronisation des mouvements avec les images. On est impressionné par leurs performances car tout cela fonctionne comme une montre suisse. Et non seulement dans le jeu mais aussi dans l’interprétation de la partition mozartienne dont l’enjeu, conformément au genre d’opéra populaire, est précisément la synthèse de divers styles. Leur registre va des parties plus simples de Papageno à celles de la Reine de la Nuit exigeant une grande virtuosité. La structure de la partition, très complexe stylistiquement, est une sorte de mosaïque de chansons strophiques, d’aria séria, d’airs simples, de récitatifs bufo à l’allemande et à l’italienne, d’hymnes choraux grandioses, tous ces éléments se mélangeant dans le grand final. Elena Copons, Gemma Coma-Alabert, Nadine Weissmann en dames de la Reine de la Nuit sont parfaites et très drôles dans leur badinage aimable au début du Ier acte. Joël Prieto (Tamino) confère à son personnage un élan passionnel, Ana Durlovski en Reine de la Nuit n’assombrit pas son personnage, enchaîne sans difficulté les vocalises extrêmement périlleuses de l’air du Ier acte en traversant avec virtuosité les « épreuves » de la partition. Mais la palme de la virtuosité va à Sophie Bevan en Pamina qui avec naturel se meut dans les aigues conférant au rôle une authentique sincérité, profondeur et émotion. Joan Martin-Royo parfait vocalement en Papageno est très Buster keatonnien sans imitation excessive. Il est remarquable dans son duo d’amour avec Pamina dans le Ier acte et d’une drôlerie subtile dans son duo avec Papagena dans le IIe acte. Tous les protagonistes sont de très haut niveau mais je relève particulièrement la fraîcheur juvénile du chœur des trois garçons.  À l’instar de Mozart qui a emprunté à la Sonate de Clémenti un des thèmes principaux de l’ouverture de La flûte enchantée, Barrie Kosky et Ivor Bolton intègrent dans la partition et la mise en scène des fragments des Fantaisies en do mineur et en ré mineur de Mozart qui, interprétés au piano, accompagnent certaines projections, comme au cinéma muet. L’interprétation orchestrale et la mise en scène relèvent avec pertinence les temps forts de la dramaturgie et du propos de l’œuvre.

         Une production hors du commun et hors normes qui est un véritable exploit artistique. Le génie de Mozart trouve ici une vision scénique géniale à sa mesure, magique et contemporaine.

Autour de La flûte enchantée en janvier, février 2016

un cycle de films de Buster Keaton au Circulo de Bellas Artes

la projection du film d’Ingmar Bergman La flûte enchantée (1975)

un concert dans le cadre des Dimanches de Chambre (Opéra)

des ateliers pour enfants.

Crédit photo: Teatro Real