Le dictateur et la mort

Création mondiale au Teatro Real de Madrid  du 10 au 18 juin 2016

 L’Empereur de l’Atlantide ou l’abdication de la Mort

de Viktor Ullmann,  livret de Peter Kien

mise en scène Gustavo Tambascio, direction musicale Pedro Halffter

Coproduction avec la Maestranza de Sevilla et El Palau de les Arts de Valencia où l’opéra sera présenté la saison prochaine.

Madrid Victor Ulman

Compositeur Viktor Ulmann

       L’Empereur de l’Atlantide ou l’abdication de la Mort a été composé par Viktor Ullmann au camp de concentration de Terezin où il a été interné en 1942 avant d’être exterminé à Auschwitz en 1944. Le compositeur brosse dans cet opéra, en caricaturant Adolf Hitler, un portrait d’un tyran qui déclare une guerre totale contre laquelle la Mort se rebelle en refusant de participer dans ce massacre industriel. Si personne ne peut mourir la guerre n’a plus de sens. La création de l’opéra fut interdite à Terezin. Grâce à la reconstitution de la partition de L’empereur de l’Atlantide par le compositeur et chef d’orchestre anglais Kerry Woodward l’opéra a été créé en 1975 à Amsterdam avec le livret original de Peter Kien, lui aussi exterminé à Auschwitz. L’opéra qui a été composé à Terezin pour un petit orchestre est créé au Teatro Real de Madrid dans une nouvelle orchestration de Pedro Halftter, directeur musical de la production. Dans cette nouvelle version l’opéra très court de Victor Ullmann est précédé par un prologue composé de Chant d’amour et de mort du cornette Christoph Rilke de Rainer Maria Rilke avec une musique de Victor Ullmann et de deux pièces Adagio in memoriam d’Anna Frank et Petite ouverture pour l’Empereur de l’Atlantide avec la musique et l’orchestration de Pedro Halftter basées sur la Sonate pour piano n° 7 de Ullmann. Le texte de Chant d’amour et de mort du cornette Christoph Rilke est interprété avec une grande simplicité et un investissement émotionnel par l’actrice Blanca Portillo, une grande figure de la scène espagnole, équivalent d’Isabelle Huppert.

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         Gustavo Tambascio aborde cette satire grotesque et surréaliste de la tyrannie avec un humour vitriolique dans une version scénique qui tient d’un conte philosophique macabre avec un happy end.  Dans la partition de L’Empereur de l’Atlantide il y a des résonances musicales de l’époque des années 1920, 1930 avec des références à la musique de Kurt Weill, de Joseph Suk, de Hindemith, de Stravinsky, de Eisler, à la musique de cabaret berlinois, au jazz, entrelacées avec diverses citations musicales depuis un hymne, un chœur luthérien à une valse de Strauss ou à des citations réitérées de La symphonie de Asrael de Joseph Suk. Cet éclectisme musical reflète l’ambiance culturelle cosmopolite, l’effervescence artistique et les convulsions politiques de l’époque d’entre-deux-guerres. La nouvelle version de l’opéra proposée par Pedro Halftter pour un grand orchestre est interprétée par 7 chanteurs, 9 acteurs et 2 danseuses qui interviennent dans les intermezzos entre les scènes. Dans la première partie du prologue la récitante Blanca Portillo apparaît en haut de l’espace scénique puis en descendant dit le texte de Rilke pendant que l’orchestre joue. Dans la seconde partie du prologue Adagio in memoriam de Anna Frank 9 personnages qui évoquent des Juifs en costumes années 1930, les uns avec des valises, passent au fond de la scène sans dire un mot, comme une pantomime. Derrière eux est projeté un texte qui explique ce que fut le camp de concentration de Terezin. Les 9 personnages s’en vont et puis reviennent avec leurs valises comme s’ils arrivaient dans le camp de Terezin.

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         Gustavo Tambascio recourt dans sa mise en scène au procédé de la distanciation en introduisant la représentation de l’opéra par un personnage de présentateur de revue en costume de bouffon qui annonce : « vous allez voir maintenant l’opéra l’Empereur de l’Atlantide». Sur le plateau incliné avec un sol rouge et une porte au fond apparaît Arlequin se plaignant de sa vie triste, ennuyeuse. Il discute avec la Mort en costume noir et un masque qui rappelle les masques africains. Elle proteste contre le travail au-dessus de ses forces que lui impose la guerre totale déclarée par le dictateur et refuse de collaborer dans cette tuerie massive. Le dispositif scénique se modifie en formant deux niveaux : la partie supérieure : le champ de bataille, la partie inférieure : le bunker du dictateur avec des murs en béton, au fond à droite une grande porte blindée  (scénographie Ricardo Sanchez Cuerda). Quand le dictateur demande à son aide de camp combien de phosphate nous avons récupéré des morts, la porte blindée s’ouvre laissant apparaitre un tas d’énormes sacs. Cet humour macabre jalonne les diverses situations dans le spectacle. Le dictateur en long manteau militaire en cuir vert porte une couronne surmontée de grandes piques et son aide de camp est en costume de bouffon couleur kaki. Au plafond du bunker sont suspendus des écouteurs qui parfois fonctionnent mal et à l’aide desquels le dictateur communique avec le monde. Sans s’intégrer dans les actions scéniques le groupe de Juifs en longs manteaux gris, tels des ombres ou des fantômes, passent parfois au fond de l’espace scénique évoquant les reclus du camp de Terezin. La grande roue immobile avec des chiffres et des signes énigmatiques dans la partie centrale de la scène, évoquant une horloge, se met à tourner dans la dernière scène quand le dictateur accepte de suivre la Mort. Mais avant il dit « je n’en ai pas fini pour autant ». Tout rentre dans l’ordre, la Mort tue à son rythme normal. Tous la remercient de les avoir libéré d’une vie sans mort. Le quartet final chante « Tu n’utiliseras pas le nom de la Mort ni maintenant ni jamais».

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         Tout dans la mise en scène de Gustavo Tambascio fonctionne avec la précision d’une montre suisse. Tambascio réussit une alchimie parfaite de l’opéra et du théâtre. Il relève dans son option dramaturgique de ce face à face avec la Mort l’amour de la vie et la force de la résistance de ceux qui ont lutté avec les armes de l’art contre la monstrueuse solution finale.

Crédit photo: Teatro Réal, Madrid