Carlo Pesta (né en 1961 à Milan) se forme d’abord à l’Académie du Ballet de la Scala puis, boursier d’études, se perfectionne à l’Académie de Danse du Bolchoï à Moscou. À son retour en Italie il entre dans le Ballet de la Scala où il reste jusqu’en 1990. Il danse dans toutes les productions, surtout les rôles des solistes et participe à toutes les tournées internationales. Danseur et chorégraphe il travaille entre autres avec Rudolf Noureev, Alicia Alonso, Vladimir Vassiliev, William Forsythe, Franco Zeffirelli. En 1982 il fonde avec Agnesa Omodei Sale une École de danse à Novarra qu’il dirige jusqu’en 1991. Il collabore depuis 1985 avec le théâtre Coccia de Novarra Dont il devient en 2005 directeur général et artistique. Depuis 1998 Carlo Pesta est président et directeur du Ballet de Milan en exerçant également comme professeur de l’Histoire de la danse et des arts du théâtre à l’Université de Milan.
Irène Sadowska – Vous vous êtes formé entre autres à l’Académie de Danse du Bolchoï à Moscou. En quoi cette formation était importante pour vous ? Quelles sont ses influences dans votre travail ?
Carlo Pesta – C’était une influence très forte sur l’évolution du style de danse de ma compagnie vers un néoclassicisme où la technique classique est très importante mais les mouvements sont plus plastiques, beaucoup moins carrés que dans la danse classique. Ce qui caractérise grosso modo le langage chorégraphique que nous avons élaboré c’est une esthétique plus narrative et très plastique au sens de créer des images évocatrices des situations avec les mouvements des corps et leurs configurations.
I. S. – Dans le parcours du Ballet de Milan beaucoup de créations sont inspirées par des figures de femmes des opéras mais aussi des œuvres littéraires comme par exemple Carmen, La Traviata, Anna Karenine. Pourquoi ?
C. P. – J’essaye de construire un nouveau répertoire parce que les œuvres classiques comme Casse-noisettes ou Le lac des cygnes ont été déjà tellement vues et le public a besoin de nouvelles créations. Anna Karenine de Tolstoï par exemple m’a semblé très adaptable pour le ballet et pour raconter en langage chorégraphique son histoire.
Les femmes ont reconquis leurs droits et leur place dans notre société. Je pense que l’art, en l’occurrence la danse, doit en être le reflet et Donner un coup de projecteur sur certaines figures féminines emblématiques du changement de la situation des femmes.
I. S. – Vous présentez en Espagne un programme double avec Carmen de Bizet et Le boléro de Ravel, représentant des esthétiques différentes, deux facettes différentes du travail de votre compagnie…
C. P. – Les deux pièces renouvellent totalement les lectures de Carmen et du Boléro. Carmen est un ballet plus classique et Le boléro plus contemporain. Mon langage chorégraphique est inspiré avant tout par la musique. Celle de Bizet est de structure classique avec des motifs et des rythmes très espagnols alors que celle de Ravel permet d’inventer un langage chorégraphique très contemporain.
Les deux œuvres du programme correspondent chacune à une conception différente de la danse.
Carmen est une transposition de l’opéra en ballet. Notre Carmen par rapport à la gitane de l’opéra de Bizet est une femme libre d’aujourd’hui que l’on peut rencontrer dans la vie.
L’esthétique chorégraphique fait ressentir comment cette Carmen libre décide de sa vie, de ses amours. Le boléro est une mise en mouvement de la musique de Ravel incarnant la dualité : la mélodie et le rythme à travers le thème de la naissance et de la dualité de l’être humain. Cette dualité musicale et en même temps humaine est représentée au début du spectacle par un couple allongé au sol qui peu à peu va se redresser incarnant elle la mélodie, lui le rythme. L’un ne peut exister sans l’autre, leur union constitue la musique.
I. S. – Votre version du Boléro est totalement différente de la version iconique de Maurice Béjart…
C. P. – Je suis parti d’une idée absolument différente. J’ai vu plusieurs fois la chorégraphie de Maurice Béjart et aussi beaucoup d’autres versions du Boléro qui toutes étaient plus ou moins influencées par celle de Béjart.
J’ai voulu faire une création très différente qui a pour thème la musique, sa naissance et son essence double. C’était très important et émouvant pour moi d’être invité au Centre de la Compagnie de Béjart à Lausanne pour représenter mon Boléro. J’ai hésité et je voulais refuser mais la directrice du Centre m’a convaincu en me disant : tout le monde connaît Le boléro de Béjart et le vôtre renouvelle magnifiquement l’approche chorégraphique de cette œuvre. Je pense qu’au-delà de la grande admiration qu’on puisse avoir pour le travail des maîtres on doit réinventer la danse. C’est un langage infini.
I. S. – Comment se conçoivent les scénographies de vos ballets ?
C. P. – Dans certaines pièces il y a des scénographies plus élaborées. Dans ce programme de Carmen et du Boléro la scène est nue pour focaliser l’attention et le regard des spectateurs uniquement sur la danse. Il n’y a aucune illustration réaliste. Dans Carmen on recourt seulement à quelques projections d’images de la vie contemporaine. Dans Le boléro c’est juste la boîte noire de scène qui contraste avec un sol blanc. Et ce contraste du noir et du blanc est l’image de l’opposition de la vie et de la mort, de l’amour et de la haine, du jour et de la nuit.
I. S. – Comment fonctionne le Ballet de Milan dont les spectacles tournent beaucoup à l’étranger ?
C. P. – Le Ballet de Milan compte actuellement 25 danseurs, autant de femmes que d’hommes. Nous avons les meilleurs danseurs qu’on puisse trouver en ce moment ce qui fait qu’il est difficile de recruter de nouveaux danseurs de ce niveau. Nous avons un répertoire de tournées internationales chaque saison de 7 programmes complètement différents, représentatifs du registre très vaste de notre travail, depuis des ballets classiques comme Cendrillon à des pièces très contemporaines. Cette diversité est une des caractéristiques de ma compagnie.
Elle est connue dans le monde entier. Cette saison nous tournons dans une dizaine de pays depuis le Maroc à la Finlande en passant entre autres par l’Espagne et la France. La saison prochaine nous allons présenter à Paris à la Salle Pleyel et à Marseille un programme qui est un hommage à la France avec en première partie la création La vie en rose sur les musiques de compositeurs de chansons français et en deuxième partie Le boléro.
Nous retournons quasi chaque année un Russie, à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, avec des nouveaux spectacles. La saison prochaine nous irons à Saint-Pétersbourg.