Le Cid de Jules Massenet – la résurrection bien étrange

     Bien étrange que cette résurrection du Cid, opéra de Jules Massenet, dont la création fut donnée à l’Opéra de Paris le 30 novembre 1885, et jamais rejoué depuis 1919 ! Le rôle principal de Rodrigue était créé par un ténor illustre  en son temps : Jean de Reské et repris aujourd’hui  par un ténor à la carrière  non moins illustre qui fait le tour de la planète : Roberto Alagna -la petite histoire retiendra que c’est avec ce rôle que ce grand chanteur débute enfin au Palais Garnier  mais après avoir beaucoup chanté à l’opéra Bastille et sur toutes les scènes du monde…

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      Hasardons nous d’abord à la distribution de la première au Palais Garnier, ce 27 mars.  En ce qui concerne le rôle du Cid, donc de Rodrigue, nous ne possédons  évidemment  pas de témoignage discographique quant à l’interprétation de Jean de Reské. Seuls subsistent les témoignages de presse d’alors. Mais à l’aune de ce que nous avons entendu par Robert Alagna, il est évident  de constater  que la partie de ténor se classe  parmi les  plus ardues des ténors  héroïques du répertoire français. Et là, force est de constater  que notre ténor d’origine italienne  a été brillamment à la hauteur. Belle revanche  en rapport aux récentes années de sa carrière et ses atermoiements (« Aida » à la Scala de Milan  et échec  de sa première manquée au théâtre de Chaillot  pour « Le chanteur de Mexico»).  Avec lui ici ce ne fut qu’entre grands airs  et grand ensemble, qu’un festival  de  contre-ut et de si naturel, reliés comme toujours par un legato sans faille, du medium au grave-face à ce Rodrigue tout feu, tout flamme, on ne peut pas dire que Sonia Ganassi  fut à sa hauteur  dans le rôle  de Chimène : voix incertaine, français déplorable, l’étendue vocale de la chanteuse  n’assume pas la tessiture  exigée par le rôle.  Et la référence  cruelle s’impose là encore : l’enregistrement  du grand air « Pleurez, pleurez mes yeux et fondez-vous en eau » par Maria Callas plus que jamais  divine. La distribution  féminine est relevée heureusement  brillamment  par Annick Massis dans le rôle  de l’Infante. Le reste de l’affiche masculine des grands rôles (Don Diego-Paul Gay, le Roi- Nicolas Cavallier) au plus modeste (Francis  Dudziak dans Saint Jacques) honorent de nouveau l’école  française des barytons-basses.  Cette même école française d’opéra, portée au plus haut, comme il a en a l’habitude depuis tant d’années par Michel Plasson, à la tête de l’orchestre de l’opéra de Paris. Quant à la mise en scène de Charles Roubaud il n’y a pas hélas grand-chose à dire, le choix de replacer l’action à l’époque franquiste n’est pas à remettre  en cause  et serait même  tout à fait juste. Mais la faiblesse  viendrait plutôt  de l’absence  de direction des acteurs-chanteurs ainsi que de la masse chorale, trop statique.

       Et cette partition qui  a mis tant d’années à être ressuscitée?

       Basée sur un livret  d’Adolphe d’Ennery, Louis Gallet et Edouard Plon, le texte est un «melting-pot» dans lequel  s’insèrent plutôt mal que bien quelques vers du grand Corneille – après une ouverture  interminable, la musique reste affligeante tant mélodiquement qu’ orchestralement. Mais ce n’est pas Mozart, ni Wagner, ni même Debussy qui veut…La boulimie  de créations de Jules Massenet est seule en cause. Au lieu de vouloir se hisser au niveau du grand opéra historique à l’égard de Berlioz et de Wagner que n’est-il mieux fait  de se contenter  au vrai opéra français  de demi-caractère et dont il reste incontestablement le roi.

      Entre Manon à l’opéra-comique  de Paris (1884) et Werther à l’opéra de Vienne(1892), qu’allait-il faire avec le Cid dans cette galère ? Bien étrange, il est vrai, que cette résurrection.

Crédit photos: Agathe Poupene

Guy Coutance, célèbre metteur en scène lyrique des années 70-80, musicologue