Respirer le théâtre

6- 30 juillet 201740e Festival International de Théâtre Classique d’Almagro

      Le Festival International de Théâtre Classique d’Almagro, dirigé depuis 2011 par Natalia Menendez, fête en 2017 ses 40 ans. Avec un peu plus de 1 % d’augmentation de son budget, grâce à la gestion exemplaire, aux nouvelles initiatives de collaborations et à l’ouverture au monde théâtral de Natalia Menendez, le Festival propose chaque année davantage de spectacles, multiplie les lieux de représentation et renforce son identité de scène internationale du théâtre classique, une des plus importantes dans le monde. La programmation de sa 40e édition festive et très diversifiée s’annonce particulièrement intéressante proposant, au-delà des spectacles, de nombreux événements, expositions, présentations de livres, dont un sur les 40 ans du festival, films documentaires sur le festival, ateliers, rencontres critiques. « Respirer le théâtre » est la devise du 40e. Festival d’Almagro dont le thème « le vrai et l’artifice » se décline à la fois dans les spectacles et la conception des sculptures, des hologrammes et des installations à l’air /libre sur des places et des lieux publics. Durant trois semaines, le Festival offre 102 représentations, 55 spectacles de 34 compagnies espagnoles, 22 de 14 compagnies étrangères avec l’Allemagne invitée d’honneur. La présence de créations de Roumanie et du Mexique sera un temps fort de la programmation. 8 spectacles sont des coproductions, 14 sont des créations mondiales et 11 des créations en Espagne. Parmi les compagnies étrangères celles du Portugal, France, Israël, Colombie, Grèce, Argentine, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Brésil. 24 spectacles sont destinés au jeune publique qui vient très nombreux au Festival.

Classique mais contemporain

        Rien de paradoxal dans cette affirmation car le défi du Festival est de présenter des relectures, versions libres, adaptations des œuvres classiques, revisitées depuis la perspective contemporaine, voire même en relation avec l’actualité quasi immédiate. Parmi les auteurs classiques espagnols et étrangers : Calderón, Lope de Vega, Shakespeare en abondance, Tirso de Molina, Cervantès, Molière, Edmond Rostand, Azorin et quelques autres. Sans doute la création de Jules César d’après Shakespeare du Roumain Silviu Purcarete, idolâtré dans son pays, présentée en clôture du Festival, sera un événement et j’espère polémique. Le spectacle est une superproduction du Théâtre National Hongrois de Cluj Napoca qui met en jeu d’énormes moyens : décor important, 40 acteurs et un gros chien dressé qui accompagne Jules César. Le conflit politique, la décadence de Rome, sont projetés dans l’actualité, les bouleversements socio-politiques et le chaos mondial déclenchés par le printemps arabe.

Jules Cesar de Shakespeare. Mise en scène de  Silviu Purcarete

        L’Allemagne est représentée par le Théâtre National de Weimar qui vient avec Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, une fantaisie poétique et onirique. Deux compagnies mexicaines, l’une Teatro de la Rendija avec Divino Narciso. Juego Aureo d’après Sor Juana Inès de la Cruz, une vision iconoclaste de l’auto sacramental sur la situation des femmes mexicaines du XXIème siècle, l’autre Los Colochos Teatro avec Roméo et Juliette de Shakespeare, transposée dans la langue indigène de la zone de Nayar au Mexique. La compagnie israélienne The Jérusalem Khan Theatre vient avec Les fourberies de Scapin de Molière. Du même auteur Les femmes savantes en version contemporaine située en 2017, est une satyre des pédants d’aujourd’hui. Le spectacle, création délirante, irrévérente de la compagnie catalane El Malda est jouée par deux acteurs qui font tous les personnages. Le grand classique français Cyrano de Bergerac de Rostand est traité dans la mise en scène ludique d’Alberto Castrillo Ferrer comme un « roman d’aventures ».

Le chien du jardinier de Lope de Vega. Mise en scène de Elena Pimenta

         La Compagnie Nationale de Théâtre Classique de Madrid, partenaire du Festival, l’investit avec ses deux productions La Dama duende (La dame charmeuse) de Calderón et Le chien du jardinier de Lope de Vega, les deux montées par la directrice de la Compagnie Elena Pimenta ainsi qu’avec deux coproductions : La Judia de Toledo (la Juive de Tolède) de Lope de Vega dans une version réactualisée et féministe de Laila Ripoll, et Sueños d’après des textes de Quevedo mis en scène par Gerardo Vera. À l’abondant programme de l’institution madrilène de Théâtre Classique s’ajoute la production de la Jeune Compagnie Nationale de Théâtre Classique Fuente Ovejuna de Lope de Vega mise en scène par Javier Hernandez Simon, une vision contemporaine de la résistance au despotisme. La vida es sueño (La vie est un songe) de Calderón se décline dans des versions différentes. Deux d’entre elles méritent un intérêt particulier. Carlos Martin et le Teatro del Temple relèvent le parallélisme entre l’intrigue et l’époque actuelle, articulant leur spectacle autour de la question : dans quelle mesure l’appartenance à un groupe définit-elle l’existence de l’individu ? Carlos Alfaro, un des plus brillants metteurs en scène, aborde la même pièce dans une perspective plus philosophique, à travers une série de questions : qu’est-ce qui nous différencie des bêtes qui incarnent nos passions ? comment nous les contrôlons ? la raison est-elle une répression qui nous permet de vivre en société ?

         Je noterais encore deux versions contemporaines de pièces de Shakespeare. La tempête réécrite par le jeune auteur à la mode, Alfredo Sanzol, sous le titre La ternura (La tendresse) dans un esprit de conte de fée et d’aventure. Macbeth traité sur le mode hilarant par la compagnie portugaise Companhia do Chapitô, interprété par trois acteurs en kilt dans une scénographie minimaliste avec juste une machine à faire la fumée, des couteaux de cuisine et trois micros sur pied.