27 mai – 10 juin 2018, Theatre de la Zarzuela,Madrid; 21-22 juillet 2018 – Les Nuits de Fourvière, Lyon
Hikarizatto, chorégraphie Itzil Galili musique Percossa
Gods and dogs, chorégraphie Jiri Kylian musique Dirk Haubrich, Ludwig van Beethoven
Por vos muero, chorégraphie Nacho Duato (musiques anciennes espagnole du XV et XVI s. par la Capella Reial de Catalunya, direction Jordi Savall)
Avec les danseurs de la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne (Compañia Nacional de Danza)
Le dernier spectacle de la Compañia Nacional de Danza d’Espagne, conçu par son actuel directeur, Jose Carlos Martinez, et composé des chorégraphies de Itzik Galili, Jiri Kylian et Nacho Duato, était très attendu à plusieurs titres.
Il marque à la fois le retour de Nacho Duato dans la Compañia Nacional de Danza, après sept ans de sa direction du Ballet de l’Opéra de Berlin, et le retour dans le répertoire de la compagnie de sa chorégraphie Por vos muero, créée pour elle. La récupération de cette pièce d’une beauté incomparable, qui pendant sept ans n’a pas pu être représentée pour des raisons de droits, était un événement en soi. Dans le programme proposé elle s’inscrit, comme en contrepoint, aux chorégraphies de Itzik Galili et de Jiri Kylian, toutes les deux excellentes dans leur style, mais manquant de poésie et de la magie envoûtante qu’a Por vos muero. Un choix éclectique de pièces qui représentent des personnalités créatrices, très différentes, de trois grands chorégraphes Itzik Galili, Jiri Kylian et Nacho Duato.
Hikarizatto (Lumière saturée) de Itzik Galili, sur la musique de percussions et de cloches traditionnelles japonaises, évoque un mystérieux rituel. Sur le plateau totalement vide, les mouvements des 20 danseurs dont les corps s’amalgament souvent, évoquant comme des bancs de poissons ou un vol d’oiseaux, ou se séparent en couples, sont ciblés par des cônes de lumière. La chorégraphie joue sur le contraste individuel et collectif, multitude. De très beaux effets d’éclairage créent des images, modulent l’espace, occultent ou révèlent. Les danseurs, hommes, pantalons courts et maillots de corps noirs, femmes, justaucorps noirs, sont en perpétuel mouvement qui change seulement de rythme. Peu d’éléments classiques, comme des portés, s’intègrent dans cette chorégraphie, résolument contemporaine, belle visuellement, mais assez abstraite, manquant d’émotion et de profondeur.
Gods and Dogs de Jiri Kylian, sur des musiques de Dirk Haubrich et Ludwig van Beethoven, s’articule sur le thème de la relation de l’individu avec le vêtement qu’il porte. Quelles sont les raisons qui nous font choisir certains vêtements ? Les circonstances ? Les normes sociales ? Comment l’âge, l’état physique ou mental nous imposent la façon de s’habiller ? Comment habillons-nous nos défauts, nos insuffisances, nos manques ? Où est la frontière entre le normal et l’anormal ? Qu’est-ce qui la détermine ? Au fond du plateau un rideau de chaînes métalliques qui permet des apparitions et des disparitions des danseurs : quatre hommes en pantalon blanc, torse nu, les quatre femmes en robe blanche, très courte. Beaucoup de duos qui alternent avec des mouvements d’ensemble, les variations de rythmes, la danse, parfois très saccadée, parfois très ondulante. Belles architectures des corps et images évocatrices.
Beaucoup plus complexe et théâtrale est la chorégraphie de Nacho Duato Por vos muero. La dramaturgie chorégraphique est une composition de musiques espagnoles du XVe et du XVIe s, d’anciennes chansons catalanes, qui accompagnent les séquences dansées, chacune introduite par des fragments de vers de Garcilaso de la Vega, en voix off, qui servent de fil conducteur. Nacho Duato fusionne admirablement dans cette pièce la contemporanéité de la danse et ses références historiques en réécrivant dans un langage chorégraphique d’aujourd’hui des thèmes de danses de cours et de danses populaires. Les danseurs, les hommes, d’abord en slip couleur chair, ensuite en boxeur noir, chemisette manches gigot comme une trace de costume de l’époque ancienne, les femmes, d’abord avec un body couleur chair puis body noir avec une jupe longue, très large, très colorée, qui vole, s’étend dans l’espace. Le fond de scène est composé de plusieurs panneaux qui permettent des sorties et entrées instantanées. Au-dessus deux grands rideaux rouges, éclairés par moments. Duos, danses de groupes mixtes, ou juste de groupe de femmes ou d’hommes, danses de village stylisées avec les mouvements de danse moderne. Nacho Duato possède un art très rare de créer des ambiances et d’imprégner d’humour ses chorégraphies. Je n’évoquerais qu’une très belle scène où les femmes dansent avec un masque à la main ou encore celle dans laquelle les hommes, en cape rouge, dansent avec des encensoirs, sur une musique religieuse. Il y a dans Por vos muero, hommage à cette époque où la danse faisait partie de la vie quotidienne, la grâce, la poésie et l’élégance.
Crédit photo: Compañia Nacional de Danza