Hänsel und Gretel de Engelbert Humperdinck par Laurent Pelly
20 janvier – 7 février 2015 – Teatro Real de Madrid
Laurent Pelly qui a déjà à son actif plus de 30 mises en scène d’opéras joués dans les plus grands opéras du monde, a débuté cette saison au Teatro Real à Madrid en triomphant en octobre, novembre 2014 avec La fille du régiment de G. Donizetti. Il y remporte un nouveau succès avec sa nouvelle version de Hänsel und Gretel de Engelbert Humperdinck, différente de celle qui a créé en 2008 à Glyndebourne. Avec un sens rare du fantastique, du merveilleux, de la magie du théâtre, il confère une dimension poétique à l’œuvre qu’il transpose dans le monde d’aujourd’hui dont il relève en même temps les aspects sordides, mercantiles.
En 1893 Engelbert Humperdinck, très influencé à l’époque par Richard Wagner, achève un opéra sur un livret écrit par sa sœur Adelheid Wette à partir d’un conte des frères Grimm. L’opéra créé à Weimar en 1893 sous la baguette du jeune Richard Strauss est immédiatement un triomphe. L’année suivante Hänsel und Gretel est représenté sur une cinquantaine de scènes allemandes puis à Vienne et à Londres, à New York en 1895, à Milan en 1превратили постановку897, à Paris en 1900 et à Buenos Aires en 1903 sous la direction de Arturo Toscanini. C’était le premier opéra retransmis par la radio en Europe en 1923. Depuis les plus célèbres divas se sont succédées dans les rôles des deux enfants.
Le conte est l’histoire de deux enfants Hänsel et Gretel dont les parents sont dans la misère. Le petit Hänsel fabrique des balais, Gretel reprise des bas pour aider leurs parents. Pour tromper la faim au lieu de travailler, les enfants chantent et dansent. Leur mère arrivant à l’improviste les corrige et désespérée de n’avoir rien à leur donner à manger, les envoie dans la forêt ramasser des fraises. Le père rentré à la maison apprend que les enfants sont partis dans la forêt où se cache la sorcière dévoreuse d’enfants. Égarés, effrayés, les enfants s’endorment dans la forêt sous la protection du Marchand de sable. Le lendemain, affamés, ils se retrouvent devant une maison de pain d’épices où vit la sorcière. Celle-ci les attire, leur jette un sort qui les paralyse. Elle enferme Hänsel dans une cage pour l’engraisser et le manger. Gretel vole à la sorcière sa baguette magique, libère Hänsel et par une ruse enferme la sorcière dans le four où elle va brûler pendant que les enfants qu’elle a transformé en pain d’épices récupèrent leurs formes humaines. Les parents arrivés retrouvant Hänsel et Gretel sains et saufs.
Humperdinck recourt dans sa partition savante, complexe et en même temps accessible à tous, à la tradition populaire : chants, comptines, balades… qu’il traite avec la technique wagnérienne des leitmotives, des variations sur des thèmes. Il imprime à sa musique une plasticité et une intensité dramatique en jouant sur les atmosphères de l’insouciance, l’allégresse, à l’inquiétude, l’effroi, dont l’orchestre dirigé par Paul Daniel ne ressort malheureusement pas à certains moments les nuances chromatiques.
Laurent Pelly propose, à travers la scénographie de Barbara de Limburg, une vision contemporaine du conte. En recourant aux images de notre univers quotidien il les manipule et les transforme en un monde magique, de rêve, dont il fait transparaître en même temps l’artifice et le fond sordide. De sorte qu’on a la sensation d’être dans des apparences suspectes. Ainsi la maison de Hänsel et de Gretel en carton délabrée, évoque-elle des abris précaires. Le père y arrive à la fin du premier acte avec des sacs en plastique de supermarché pleins de nourriture, image d’abondance dans la misère. La forêt évoque la nature dévastée : des troncs d’arbres sans branches ni feuilles, des déchets, des sacs et des bouteilles en plastique ici et là. Les rêves des enfants endormis et affamés apparaissant sur des écrans qui descendent des cintres : on y voit des gâteaux, du chocolat, des hamburgers, des bouches mastiquant avec appétit… Quand les enfants se réveillent les arbres s’écartent et apparaît sur des roulettes la maison de la sorcière dont les murs sont comme des rayons de supermarché bien garnis, symbole de bien-être, de bonheur, d’abondance, dans notre société de consommation.
La sorcière chantée et jouée dans un registre comique par José Manuel Zapata maquillé, en jupette, chaussures à talons, soutien-gorge, enferme Hänsel dans un chariot de supermarché. Laurent Pelly multiplie les images dérisoires de l’univers des grandes surfaces : séduction par les offres, promotions, soldes…Les costumes contemporains : robe courte pour Gretel, pantalon, T-shirt à rayures pour Hänsel, le père et la mère vêtement d’aujourd’hui usés, le Marchand de sable et la Fée : de la rosée en costumes à l’aspect féerique mais faits avec des matières contemporaines comme du plastique. La féerie, la magie du conte traduite en images contemporaines, comiques, dérisoires. Ainsi par exemple l’apparition saisissante, hypnotisant du Marchand de sable (Elena Copons), la transformation de la maison de pain d’épices en supermarché ou encore les images en ombres chinoises de la sorcière essayant des balais volants.
Tous les chanteurs, d’un grand niveau vocal, nous surprennent par leurs dons d’acteurs que Laurent Pelly exploite avec un sens rare de l’organisation du jeu dans l’espace. Alice Coote (mezzo-soprano de 46 ans), qui a chanté sur les plus grandes scènes depuis le Métropolitan de New York, Paris, à San Francisco, fait un Hänsel fanfaron, remuant. Avec Sylvia Schwartz en Gretel (invitée des grands festivals, Edimbourg, Salzburg, etc.), elles nous épatent par leur jeu : danses, courses, sauts. Jose Manuel Zapata, jeune ténor espagnol, déjà affirmé, outre sa qualité vocale fait preuve lui aussi de son talent d’acteur comique. Une production d’exception pour la qualité des interprètes mais aussi pour l’approche scénique de ce grand classique du théâtre lyrique proposée par Laurent Pelly.