L’art de sculpter la danse

 12 – 28 juin 2015 – Teatro de la Zarzuela à Madrid,  en juillet 2015 – Festival de Grenade;  en novembre 2015- Festival de Santander,Japon.

                  Alento et Zaguan,création mondiale du Ballet National d’Espagne de Antonio Najarro

Alento2_Copy_MariaAlperi

Alento

     La création mondiale du double programme du Ballet National d’Espagne Alento et Zaguan est un événement chorégraphique. Dans Alento, Antonio Najarro, directeur du Ballet, puise dans son bagage chorégraphique en réinventant en même temps son langage, sublime et sculpte la danse. Zaguan, chorégraphié par trois jeunes chorégraphes Mercedes Ruiz, La Lupi et Marco Flores, sur la musique de Jésus Torres intégrant une pièce mythique La Solea del manton de la grande star de la danse flamenco Blanca del Rey, est une mosaïque de visions rénovatrices du flamenco.Il y a la perfection technique, l’inspiration, la grâce dans cette création qui réussit une fusion de la tradition vivante et de la modernité.

      Comme les Japonais, les Espagnols possèdent un art inégalable de fusionner ou de faire dialoguer la tradition vivante avec la modernité, de trouver un point d’équilibre entre l’expression de l’individu et du collectif. Antonio Najarro, chorégraphe et directeur depuis 2011 du Ballet National d’Espagne et ses danseurs ont cet art dans les gènes. Dans leur dernière création, un double programme Alento et Zaguan, ils arrivent dans leur art de sculpter et de sublimer la danse à cet état de grâce et d’inspiration que Federico Garcia Lorca appelait « duende ».

      Dans Alento, en se référant à quelques éléments de ses créations précédentes Antonio Najarro réinvente son langage chorégraphique en parvenant à une parfaite adéquation entre la tradition et le langage du XXIe s. Zaguan, une suite réunissant les créations de trois jeunes chorégraphes La Lupi, Mercedes Ruiz et Marco Flores, intégrant une pièce quasi mythique d’une grande star de la danse flamenco, Blanca del Rey, est une mosaïque de visions et d’esthétiques originales, personnelles, rénovatrices et désinhibées du flamenco. Alentо et Zaguan deux pièces, chacune de structure et de facture différentes sont composées comme des suites. Alento, qui porte bien son nom signifie le souffle, le passage, le renouvellement de l’air. On y trouve bien sûr des marques du travail chorégraphique d’Antonio Najarro inextricablement lié à des créations musicales de Fernando Egoscua, son collaborateur permanent, mais Alento apporte un nouveau souffle, des harmonies nouvelles, autant dans le langage chorégraphique que dans la partition musicale à la fois très rythmique et mélodique.

AlentoZagu+ín_Copy_Mar+¡aAlperi-1

Alento

      Dans sa chorégraphie Antonio Najarro combine et parfois met au premier plan des rythmes tout aussi différents que : jazz, blues, soul, formes de danse flamenco déstructuré avec l’usage du zapateo (rythmes frappé avec les pieds) et les castagnettes rythmant la danse et formant partie intégrante des mouvements et presque du corps des danseurs.
On est fasciné par l’art d’Antonio Najarro de créer des ambiances, des images éphémères, poétiques, de jouer sur l’abstrait, l’évocation, la suggestion dans ses chorégraphies très théâtralisées des groupes, de faire surgir et de polariser le regard et l’émotion sur des solos. Dans la suite de Alento on reconnaît parfois des réminiscences de mélodies ou de rythmes qui font partie de la mémoire collective comme par exemple un phrasé musical évoquant Albéniz ou la pulsation envoûtante, sensuelle du tango piazollien ou encore des résurgences de tonalités orientales.
Les ruptures de rythmes s’opèrent brusquement, on passe d’un crescendo de zapateo qui scande des mouvements à des séquences ralenties, poétiques, où les corps semblent voltiger, pour un instant après se charger d’une énergie, d’une violence extrême survoltée, comme dans une transe.
      Une très belle séquence quand les danseurs assis sur des tabourets au fond face à nous, dansent uniquement avec les mains et les pieds. Sur un plateau vide dans Alento les éclairages de Nicolas Fischtel découpent et dramatisent l’espace, créent des ambiances, sculptent les silhouettes. Les costumes de Teresa Helbig, très épurés, sophistiqués, réunissent l’élégance, la grâce, la sensualité. Dans Alento la musique est interprétée par l’Orchestre de la Communauté de Madrid.

Zagu+ín3_Copy_Mar+¡a Alperi

Zaguan

      Pour Zaguan qui signifie lieu de transition, de passage, Jesus Maria Torres a créé une musique (pour guitares, caisse, et voix des chanteurs) totalement rêvée, sur mesure pour chacun des chorégraphes, très caractéristique de la nouvelle composition flamenco.
La pièce est composée de chorégraphies des trois jeunes chorégraphes marquants dans le panorama actuel : Mercedes Ruiz, La Lupi, Marco Florès, ayant chacun un style, un vocabulaire personnel et singulier. Les costumes à base de flamenco de Yaiza Pinillos, stylisés, inspirés par ceux de l’époque 1890 – 1920. Décor, au fond un mur de fenêtres avec des estampes de flamenco. Une dramaturgie des éclairages de couleurs chaudes, créé un parcours lumineux à travers des flamencos différents.
Deux chanteurs sur scène s’intègrent à certains moments dans les chorégraphies, hypnotisantes, sensuelles où les rythmes vibrants, saccadés, des mouvements violents, enflammés se figent soudain dans une quasi immobilité. La Milonga, le Tango dans la chorégraphie de La Lupi se transforment en une danse viscérale, passionnelle. Marco Florès déconstruit et renouvelle magistralement la Sigiriya, la Guajira et Mercedes Ruiz crée une version fascinante de la Alegria.
Mais le clou du programme est l’apparition émouvante, bouleversante de la grande dame du flamenco Blanca del Rey, chorégraphe invitée dans Zaguan, incarnation même du thème de la transition, voire de la transmission de l’art du flamenco. Dans sa séquence intégrée dans la suite elle danse sa chorégraphie emblématique la Solea del manton et en fait don au Ballet National d’Espagne, en la transmettant à la jeune danseuse étoile de la compagnie. Vêtue d’une simple robe longue noire elle danse avec pour seule partenaire une énorme mantille. Sa chorégraphie tient de la tauromachie : les mouvements, son jeu avec la mantille rappelant la cape de torero, évoquent les passes de torero dans la corrida. À la fin de la séquence Blanca del Rey danse avec la jeune danseuse étoile et lui donne sa mantille, symbole de son art.
L’émotion est à son comble quand la célèbre danseuse dit : « je ne veux pas vivre sans danser ».
Alento et Zaguan, deux versants de l’art chorégraphique du Ballet National d’Espagne sont autant de chefs-d’œuvre qui subliment le langage du corps le chargeant d’une authentique poésie.

 Crédit photos:

http://balletnacional.mcu.es