Le cercle de la vie et de la mort

L’amour sorcier de Manuel de Falla et Samsara, chorégraphies de Victor Ullate  –   du 27 aout au 13 septembreTeatros del Canal à Madrid

 

      Victor Ullate, danseur et chorégraphe espagnol de renommée mondiale a débuté sa carrière dans les Ballets du XXe siècle de Maurice Béjart qui a créé pour lui plusieurs pièces. Après 14 ans de travail avec Béjart Victor Ullate a fondé en 1990 sa propre compagnie en développant un langage personnel de danse contemporaine : fusion de la tradition, de la technique de la danse classique avec une esthétique moderne.

         Dans sa nouvelle version de L’amour sorcier de Manuel de Falla et dans Samsara, comme dans plusieurs de ses autres pièces comme par exemple Sur, la voix, le chant, font partie de la dramaturgie chorégraphique.  Les deux œuvres s’articulent sur deux grands thèmes récurrents dans la création de Victor Ullate : l’amour qui s’accomplit dans la mort et la liberté de la femme. L’amour peut-il vaincre le mal et la mort ? Sommes-nous condamnés à la fatalité du mal, de la destruction et de la guerre ? voici des questions qui entre autres relient les deux pièces.

         Tout au long de son parcours Victor Ullate a constitué un répertoire de chorégraphies qu’il reprend souvent et qui ne cessent de tourner. L’amour sorcier de Manuel de Falla en est une. Il en a créé en 2014 une nouvelle version en modifiant la dramaturgie chorégraphique de l’œuvre et en incorporant dans la partition de de Falla la musique électronique de In Slaughter Natives, des effets musicaux de Luis Delgado, trois chansons populaires écrites par de Falla et une variation flamenco de Paco de Lucia.

       La nouveauté de cette version est l’introduction dans la dramaturgie scénique de la grande chanteuse de flamenco Estrella Morente dont la présence et le chant était un protagoniste extrêmement puissant de la danse et de la musique de de Falla empreinte d’un mysticisme gitan.

         Ces ajouts et modifications renforcent la trame dramatique du ballet : le voyage entre la vie et la mort vers un au-delà en lui conférant une dimension poétique. La scénographie simple, évocatrice et les éclairages qui sculptent l’espace, de Paco Azorin , collaborateur habituel de Victor Ullate, créent un univers mystérieux transcendant les limites du réel vers une sphère spirituelle insaisissable.

         Samsara est une traversée des horreurs, des massacres, des oppressions politiques et religieuses de toutes sortes qui prolifèrent aujourd’hui sur la planète, avec au bout des lueurs d’espoir et une foi que la vie reprendra le dessus sur la destruction. Sans véhiculer une idéologie mystique particulière Samsara se nourrit de la pensée orientale et fait référence au cycle de la vie, de la mort et de la renaissance. « Samsara est un lieu où on peut faire tomber le voile de l’ignorance -dit Victor Ullate. Nous nous croyons éternels. Nous nous perdons dans les désirs superflus comme si nous ne devions jamais vieillir ou mourir alors que le moment présent est le seul que nous ayons. L’Orient m’aide à chanter la vie, à profiter de chaque instant ». Dans la traversée de notre monde proposée dans Samsara les musiques d’Iran, d’Afghanistan, de Chine, du Japon, du Népal, de l’Inde, marquent les stations, dessinent un cadre pour les images dansées. « Samsara est une abstraction des sens qui permet, à travers la conjonction d’un mouvement corporel et de la musique, de transporter le spectateur dans ces lieux d’où viennent les musiques ethniques qui composent ce ballet », explique Victor Ullate. Et il ajoute : « la danse nous sert de lien entre les cultures disparates ». Car au-delà de la beauté de l’expression chorégraphique « il y a dans ce ballet la critique des situations sociales dans ces divers pays que j’ai visités tout au long de mon parcours et dont les souvenirs et les influences ont marqué ma vie »».

       Sur un plateau vide, au fond un voile transparent. Le spectacle commence par une série de projections sur ce voile d’images très violentes, insoutenables, de guerres, de massacres, de souffrance, de morts, sur les musiques évoquant le battement d’un cœur, les explosions de bombes, des tirs de mitrailleuses. Images identifiables à des conflits qui ravagent aujourd’hui certains pays et dans lesquels l’art, la musique, la danse, le chant sont prohibés.

        En contrepoint à ce défilé des horreurs, derrière le voile transparent, toute la troupe en costume blanc faisant du tai-chi renvoie l’image d’un combat pacifique. Les projections s’achèvent par quelques images plus paisibles, sereines, d’espoir : une vieille femme en train de prier, un enfant qui joue.

       Tout au long du spectacle on voit au fond de la scène un grand œil fermé qui va s’ouvrir à la fin : image de retour à la vie, de prise de conscience, de renouvellement.

       En introduction des séquences chorégraphiques successives et en contrepoint à ces situations souvent violentes qu’elles évoquent, sur le voile du fond sont projetées des citations du Dalaï-Lama, Matthieu Richard, Dilgo Khyentse Rimpotche, Shantideva, Jack Kornfield, Pema Chödrön et un proverbe tibétain. Quelques éclats de la sagesse orientale sur la connaissance de soi, la paix intérieure, la paix avec les autres.

     Les costumes dans divers styles orientaux suivant les séquences : pantalons longs, robes longues très amples, tuniques et pantalons, des grands voiles noirs évoquant les burkas, quelques costumes très ajustés. Certaines séquences sont particulièrement saisissantes, poignantes. Ainsi par exemple dans la séquence iranienne, dans la danse très belle, sensuelle, tel un chant d’amour, de deux jeunes hommes fait soudain irruption un homme en noir qui les sépare et un groupe d’autres hommes en noir va abattre les deux amants. Un groupe de femmes en noir entoure en pleurant les morts gisants dans deux cercles de lumière au sol. Dans la séquence précédente les mêmes femmes couvertes de grands voiles noirs, de burkas, ont brutalisé et chassé une jeune femme qui a enlevé son voile restant en collant et en body noir.

       Mais il y a aussi des images sublimes de beauté et de poésie comme par exemple dans la séquence japonaise où la chorégraphie s’inspire d’une forme de théâtre de marionnettes du Japon. Deux danseurs, costumes noirs et cagoules, évoquant les manipulateurs de marionnettes, portent une femme puis dansent avec elle et l’emportent à la fin.

     Victor Ullate confère à sa partition chorégraphique une belle fluidité, de très bref noirs séparant les images successives.

      Il incorpore des influences orientales et quelques éléments de la danse classique comme par exemple les pointes, dans les figures contemporaines.

     Dans certaines séquences des mouvements très rapides, ininterrompus évoquent une transe. À certains moments les mouvements, les silhouettes des danseurs font penser à des dessins graphiques ou aux signes hiéroglyphiques.

    Dans le final toute la troupe, veste et pantalon blancs, avance vers l’avant scène, tous avec une rose blanche à la main qu’ils déposent au sol, un geste d’hommage aux morts et d’espoir.

Crédit photos: Teatros del canal

Tournée 2015 / 2016

En Espagne:  Vigo, Caseres

En France : Massy, Marseille, Narbonne, Albi

Une grande tournée en Amérique du Sud