La beauté sauvage qui galvanise

Du 3 au 11 février 2016 –  Théâtre de la Ville, Paris

Fla.co.men mise en scène, chorégraphie, interprétation Israel Galvan

 

Créé au Teatro Lope de Vega à Sevilla, présenté au Teatro del Canal à Madrid du 8 au 11 janvier 2015 dans le cadre du Festival de l’Automne au Printemps à Madrid.

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       Fla.co.men est à la fois un hommage au flamenco et le retour d’Israel Galvan aux origines de son art. Le titre du spectacle Fla.co.men (flamenco à l’envers) traduit ce geste de ressourcement et de réinvention, de déconstruction et de construction. Israël Galvan définit poétiquement ce retour à l’origine en citant le texte, qui est aussi le leitmotif de son spectacle, du grand poète compositeur et chanteur de flamenco Enrique Morente : « j’ai été pierre et j’ai perdu mon centre. On m’a jeté à la mer et à la fin mon centre est venu me retrouver ». Il s’est approprié le credo de Morente « traduire la tradition et être conscient de la trahison ». Dans Fla.co.men. il s’ancre dans sa propre mémoire en prélevant de quelques spectacles précédents, des éléments emblématiques pour les déconstruire dans une expérimentation régénératrice où son seul protagoniste est le son, le souffle, le cri originaire du flamenco. Souverain et humble, en quête de vibrations, de sonorités nouvelles et à la fois familières, tel un illusionniste, il recrée devant nous son univers galvanique. Il y a une jouissance, une insouciance joyeuse, l’humour, des blagues et des clins d’œil dans cette nouvelle métamorphose de l’art du flamenco de ce génial Sévillan. Ses parents ont été des danseurs de flamenco très connus à Séville, lui et sa sœur Pastora ont emprunté le même chemin. En 1994 il entre dans la compagnie de Mario Moya, puis travaille avec Manuel Solar avant de créer en 1998 sa propre compagnie. Dès le départ dans son approche du flamenco Israël Galvan puise dans les diverses sources d’inspiration de la tradition et de la culture populaire. Depuis 2009 il est invité régulièrement au Festival d’Avignon et aujourd’hui artiste associé au Théâtre de la Ville à Paris. 

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       Israël Galvan ne cesse de nous surprendre. Dans Fla.co.men il retrouve la dimension ontologique du flamenco et quitte la zone sombre de l’espace scénique privilégiée dans ses spectacles précédents pour un espace lumineux, « récréatif ». La thématique de la régénération, de la renaissance prenant ici le dessus sur celle de la mort et de la souffrance. Fla.co.men a quelque chose d’une expérimentation pure, d’un jeu où tout surgit spontanément, comme par hasard, sans à priori aucun, tout est en mouvement, tout se métamorphose en permanence. Galvan s’amuse à multiplier les sons, à associer des éléments, à les décaler, les défaire, voire les détruire devant nous comme un gamin qui casse son jouet. En piquant des éléments de ses spectacles précédents (Zapatos rojos, La métamorfosis, Galvanicas, El final de este estado de cosas, Le réel /lo rea/ the real) il les détourne, les transforme, les détruit. Ainsi reprend-il par exemple une chaussure blanche d’un de ses premiers spectacles, un moulage en plâtre avec lequel il crée des sons différents en soufflant dedans jusqu’au craquement quand il l’écrase avec son pied. La recherche d’un bruit de crissement ? Image de rupture, de transgression ? Destruction du moule ? Galvan multiplie les sens de ses gestes nous laissant la liberté de leur interprétation. Il propose dans Fla.co.men un nouveau vocabulaire de mouvements : des lignes plus rondes, adoucies, n’ayant rien à voir avec les mouvements du flamenco classique, des envolées des bras, des mains, évoquant un oiseau, un taconeado aérien. Pas d’argument ni de trame dans le spectacle qui se présente comme la création instantanée d’une partition sonore et chorégraphique produite par les instruments, les objets et les corps qui se donnent la réplique, improvisent, se surprennent. Galvan interpelle les instruments, tape sur les grosses caisses, danse avec les musiciens, frappe le sol sonorisé à certains endroits, danse sur des pièces de monnaie. Il crée une sorte de symphonie sauvage de sons, de bruits, de rythmes, avec les instruments (cymbales, grosses caisses, guitares, violon, xylophone, saxophone, cajon, flûte), la voix : le chant et la parole, jouant sur les sonorités de l’espagnol et de l’anglais, enfin tout le registre des sons, des bruits produits par des coups sur son corps, des objets, le sol. Il joue avec la même liberté avec le flamenco en imprégnant les thèmes, les rythmes traditionnels, originels, des sonorité nouvelles, par exemple des références à Ligeti dans la rondeña, ou à Luigi Nono dans la granaina ou en suggérant la filiation entre la taranta et la tarentelle. Tout cela se passe dans une ambiance ludique avec des moments parfois comiques. Dans le final tous les musiciens dansent avec Galvan une seguiryia puis s’en vont sur la pointe des pieds, clin d’œil au ballet classique. Galvan fait un retour aux saluts, tournoyant en robe andalouse.

 Crédit photos: Teatros del Canal