Jeux d’amour à Venise

Du 10 au 30 octobre 2015Teatro de la Zarzuela à Madrid

Galanteos en Venecia, Zarzuela de Francisco Asenjo Barbieri

Livret de Luis Olona     Mise en scène Paco Mir  Direction musicale Cristobal Soler / Jose Sanchis

Scénographie Juan Sanz et Miguel Angel Coso

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      Paolo Pinamonti qui a inauguré en 2011 sa direction du Teatro de la Zarzuela à Madrid avec une mise en scène de Los sobrinos del capitan Grant de Caballero et Ramos Carrion par Paco Mir, retrouve ce metteur en scène hors pair pour ouvrir avec Galanteos en Venecia de Francisco Asenjo Barbieri sa dernière saison à la tête de ce théâtre dont il a rénové totalement le répertoire. Il récupère dans sa programmation 2015 / 2016 Galanteos en Venecia, un joyau du répertoire qui n’a pas été monté depuis le XIXe siècle. Une des zarzuelas fondamentales de Francisco Asenjo Barbieri (1823 -1894) musicologue et compositeur qui est pour l’Espagne ce que ses contemporains Glinka et Smetana étaient pour la Russie et la Bohème à cette différence que Barbieri ressource sa musique dans les formes et les langages musicaux savants des siècles passés plus que dans la tradition populaire et le folklore. Dans Galanteos en Venecia écrite à Paris et créée au Teatro del Circo à Madrid en 1853, Barbieri s’inspire beaucoup de la comédie de Feydeau en alternant deux styles : la barcarolle italienne et des chansons espagnoles. Cette œuvre revient aujourd’hui sur scène servie par les meilleurs chanteurs lyriques dans une version scénique novatrice, burlesque, de Paco Mir qui met ce grand classique du théâtre lyrique en abîme d’un tournage de cinéma.

      Galanteos en Venecia, une histoire rocambolesque où les intrigues amoureuses, les travestissements, les tromperies de toutes sortes se télescopent, a pour cadre Venise du XVIe s. où dans une ambiance festive, carnavalesque, on célèbre la victoire navale sur les Turcs. Le comte Gramani, général vénitien, courtise la jeune Laura, fille d’un vieux pêcheur aveugle Marco, en se faisant passer pour un conspirateur ayant besoin d’aide. La comtesse, sa femme, déguisée, va le surprendre dans ses exploits galants en séduisant à son tour don Juan, un capitaine espagnol. Andres, promis de Laura, revient victorieux des régates. Alors que la fête dans le palais du comte bat son plein des quiproquos, jeux de séduction, des surprises, des coups de théâtre se multiplient. Andres soupçonne sa fiancée Laura d’infidélité et jaloux offense le comte. Fuyant la colère de celui-ci il se cache sur le bateau de don Juan où se trouve aussi Laura capturée par le capitaine. Mais tout finit bien : la comtesse révèle son identité, don Juan intercède en faveur d’Andres qui se réconcilie avec Laura, tous assistent au départ de don Juan en Espagne. Paco Mir simplifie le puzzle dramatique de l’œuvre en redessinant sa structure et en la mettant en abîme d’un tournage d’un film en public. Au début du spectacle, devant le rideau, deux régisseurs, homme et femme, s’adressent sur le mode comique des amuseurs du music-hall, au public en expliquant le tournage. Ils interviendront à plusieurs reprises pour commenter et arrêter le tournage, faisant reprendre des prises de vue.Sur ce plateau de tournage imaginaire, un dispositif scénique extrêmement efficace. De chaque côté du plateau une haute construction en bois avec portes et balcon au premier étage. Derrière ces constructions un pont et le Grand Canal sur lequel on voit passer par moments des gondoles sur roulettes. Dans certaines séquences des panneaux avec des fenêtres descendent des cintres. Dans le IIe acte apparaît une toile découpée qui évoque une coupole avec des colonnes du palais du comte. Dans le Iie acte la scénographie change : un bateau en trois parties modulables se configurant de multiples façons pour des séquences différentes.

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      Tous ces éléments sont déplacés, reconfigurés instantanément à vue en une trentaine de variantes par une dizaine de machinistes aidés par les chanteurs. Pas de caméra ni sur scène ni dans la salle pour représenter le tournage. C’est du théâtre pur, fabriqué artisanalement. De très beaux costumes d’époque pour les personnages de l’histoire vénitienne, les deux régisseurs en costumes contemporains et casques avec oreillette. Chaque séquence, comme pour une prise de vue dans un tournage, est annoncée par un clap. Paco Mir s’empare de tout l’espace du théâtre en utilisant dans une séquence des loges au bord de la scène et en déployant le jeu dans la salle. Paco Mir qui a travaillé pendant plusieurs années avec le groupe catalan Tricicle fait ici preuve de son incroyable sens de l’humour, du burlesque, à la fois dans le traitement des situations et dans le jeu des chanteurs impressionnants comme acteurs. Les gags, jamais gratuits, et les situations comiques, parodiques, se succèdent. À un moment le chœur imite les instruments comme s’il formait un orchestre. Les références au tournage interagissent sur le ton humoristique avec l’action de la pièce sans rompre la continuité ni la fluidité des séquences. Ainsi par exemple quand un personnage qui doit sonner de la corne marine fait un bruit infâme, la régisseuse l’arrête et demande à l’orchestre de sonner de la trompette à sa place. Dans une autre séquence la régisseuse interrompt et fait reprendre à Laura et Andres leur duo amoureux. Alors que l’orchestre se prépare pour reprendre le passage on voit les deux chanteurs se disputer. Paco Mir joue avec talent de ces irruptions de la « réalité » du tournage dans la fiction dramatique. Avec le même art il intègre dans les actions les chœurs très présents dans la pièce.

      L’orchestre de la Communauté de Madrid rend magnifiquement le registre chromatique et dramatique de la partition en jouant le jeu de la mise en scène. Mais on est ébloui par la justesse et la qualité vocale des chanteurs : José Antonio Lopez, (Don Juan), baryton puissant et sobre dans les phrasés, Carlos Cosia, (Conde Grimani), ténor clair et pénétrant, Sonia de Munk, (Laura), soprano lyrique lumineuse et Cristina Faus, (Condesa Grimani), mezzo-soprano brillante. Il est très rare de voir sur scène une telle symbiose de l’art lyrique et du théâtre.

 

Crédit photos: Domingo Fernández.