L’amour contrarié par la politique et la guerre civile

4 au 24 juillet 2016Teatro Real, Madrid

I Puritani (Les Puritains) de Vicenzo Bellini, opéra en 3 actes

Livret de Carlo Pepoli basé sur la pièce de théâtre Têtes rondes et cavaliers(1833) de Jacques Arsène Ancelot et Joseph Xavier Boniface.Мise en scène Emilio Sagi, direction musicale Evelino Pido. Chœur et orchestre titulaire du Teatro Real, co production Teatro Real Opera de Madrid et Teatro Municipal de Santiago du Chili. 

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      I Puritani, œuvre testamentaire, dixième et dernier opéra de Vicenzo Bellini, commande du Théâtre Italien à Paris où il a été créé en 1834, quelques mois avant la mort du compositeur, est un pur exemple d’opéra romantique avec tous les ingrédients d’un mélodrame à la Walter Scott. L’opéra écrit pour le goût français afin de séduire le public parisien, eut un accueil délirant. Pour Bellini ce fut une consécration sur la scène française. En Espagne I Puritani a été créé le 6 décembre 1850 au Teatro Real à Madrid et depuis très peu représenté. Cette œuvre d’une énorme exigence vocale à laquelle se mesurent seulement les chanteurs exceptionnels, revient sur la scène de l’Opéra de Madrid dans une nouvelle production avec une distribution d’excellence, avec dans les rôles principaux des chanteurs à toute épreuve, dont l’extraordinaire ténor Javier Camarena en Lord Arturo qui, l’année dernière a provoqué le délire du public dans La fille du régiment.

       Emilio Sagi, metteur en scène sans égal dans le théâtre lyrique, avec la complicité de ses collaborateurs habituels, Daniel Bianco pour la scénographie, Peppispoo pour les costumes, propose une lecture de l’œuvre limpide, très épurée, sans une trace de réalisme, sans rien réactualiser. De sorte que nous sommes en présence d’une perle rare, d’un chef-d’œuvre auquel contribuent grandement le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Madrid sous la direction de l’Italien très bellininien Evelino Pido. L’action de I Puritani se situe en 1649 en Angleterre, pendant la guerre civile opposant les troupes des Puritains d’Oliver Cromwell aux partisans des Stuarts. Nous sommes dans un fort puritain près de Plymouth, commandé par Lord Gualtiero Valton et son frère Sir Giorgio Valton. Elvira, fille de Lord Valton, doit épouser Lord Arturo Talbo qui soutient les Stuarts, mais cette union sera contrariée par un fervent Puritain Sir Riccardo Forth, follement amoureux d’Elvira. L’intrigue amoureuse et l’intrigue politique s’imbriquent quand Lord Arturo aide à s’évader du fort la reine Enrichetta de Francia prisonnière des Puritains, femme du roi Charles Ier décapité. Sir Riccardo Forth montre la reine s’évadant du fort en compagnie de Lord Arturo à Elvira qui devient folle de détresse. Les passions : amours partagés, contrariés, haine, jalousie, trahison, folie s’exacerbent sur le fond des conflits politiques et des affrontements armés des deux partis jusqu’au coup de théâtre final qui, sur le mode du deus ex machina : l’arrivée inattendue du messager avec la lettre de grâce pour les royalistes, remet tout en ordre. Les amoureux Elvira et Lord Arturo se retrouvent et rien n’empêche maintenant la noce. Dans la version de l’orchestration originale, française de I Puritani, plus narrative que celle modifiée par Bellini pour la création italienne de son opéra, l’orchestre dialogue avec les chanteurs, commente leurs émotions, marque l’évolution des événements dramatiques et des ambiances. Dans la partition bellinienne, tissage de lyrisme et du dramatique, on retrouve ses proximités avec Rossini et Donizetti mais aussi on entend l’ascendance que Bellini aura sur Verdi qui s’est beaucoup inspiré du style mélodique bellinien. Les nouvelles idées harmoniques que Bellini introduit dans la trame orchestrale épousent merveilleusement le tissu mélodique. Bellini multiplie ici des récitatifs pleins de coloratura, exigeant des interprètes équilibristes, autant les femmes que les hommes, capables d’affronter les difficultés vocales inouïes dans les aigues, souvent très prolongées. Miraculeusement les chanteurs de la distribution que j’ai vue étaient non seulement à la hauteur, au sens propre et figuré, de la performance exigée mais en plus très naturels et très à l’aise dans les moments les plus périlleux. Une seule réserve pour Annalisa Stroppa (la reine Enrichetta) qui dans la représentation que j’ai vue avait parfois quelques difficultés à tenir les notes particulièrement aigues. Le reste des protagonistes est absolument brillantissime. Diana Damrau en Elvira et Javier Camarena, Lord Arturo, dans leur duo d’amour du Ier acte et dans le duo des retrouvailles du IIIe acte sont plus que parfaits, Diana Damrau dans l’air de la folie est sublime et bouleversante. Miklos Sebestyen (baryton) dans le rôle de Lord Valton éblouit à la fois par la précision et l’élégance de sa voix. Emilio Sagi a opté pour une mise en scène totalement non réaliste, abstraite, dépouillée où l’excès des passions, des sentiments très exacerbés qui s’affrontent, ressort avec encore plus de violence. La notion d’opposition des extrêmes se traduit dans le dispositif scénique, les costumes et les éléments scéniques en noir et blanc nuancés parfois par le gris. Les roses rouges dont on parsème le sol blanc à l’arrivée de Lord Arturo dans le fort pour son mariage avec Elvira, tout comme la robe dorée d’Enrichetta, sont les seuls éléments colorés dans la mise en scène.

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       Le dispositif scénique (de Daniel Bianco) à deux niveaux, le jeu des rideaux transparents et la technique sophistiquée des éclairages permettent de créer, sur le mode cinématographique, des plans de proximité ou éloignés, des gros plans, de cadrer les images. Ainsi par exemple dans certaines scènes les actions se passent simultanément en haut et en bas du dispositif ou au premier plan et en arrière de la scène. Le fond et les côtés de la partie inférieure sont en miroirs noirs avec des ouvertures donnant sur d’autres miroirs noirs. La partie haute en noir également, éclairée en blanc à certains moments, sert à créer des situations en second plan, dans certaines scènes avec le chœur et des images qui évoquent des situations extérieures, par exemple la guerre avec les personnages qui passent avec des drapeaux. Sur scène peu d’éléments : au tout début du Ier acte des bancs noirs qu’on enlève puis on apporte une série de chaises blanches et un fauteuil pour la cérémonie de mariage qui sera troublée. Dans le IIe acte l’image des lustres chamboulés et des chaises renversées répercute à la fois le désordre mental d’Elvira et l’exacerbation des conflits. Emilio Sagi crée des images percutantes, puissantes et sans recourir aux effets spectaculaires ou aux artifices du théâtre, fait surgir sur scène un univers magique d’une grande force poétique.

       Dans le cadre de la « Semaine de l’opéra » du Teatro Real auront lieu  plusieurs rencontres de programmateurs, directeurs, techniciens et chanteurs, journées portes ouvertes, projections de spectacles à l’air libre dans plusieurs lieux emblématiques de Madrid.  Ainsi  I Puritani sera retransmis sur grands écrans le 14 juillet dans divers lieux de Madrid et dans plusieurs villes d’Espagne, entre autres La Corogne, à Bilbao, Burgos, Cordoba, aux Canaries, Grenade, Malaga, Murcie, Salamanque, Valence et audans cinq pays d’Amérique Latine : Mexique, Venezuela, Argentine, Chili, Colombie. 

Crédit photo: Teatro Réal, Madrid