Numance, entre l’histoire et la fiction. La chute de Numance

La chute de Numance (Le dernier épisode en 8 actes et un épilogue)

Аcteurs, scénographie, mise en scène Compagnie Tierraquemada de Garray, metteur en scène : Pedro Antonio Muñoz, narrateur : Alfonso Andrés,  adaptation à partir de textes anciens : Alfredo Jimeno Martinez.numanceville

       Chaque année la première semaine d’août on présente un épisode du cycle des « Guerres numanciennes » en plein air, sur le site même de l’antique Numance. Cet événement théâtral basé sur la mémoire historique des guerres numanciennes inauguré en 1999 dans le lieu même de l’antique Numance est un phénomène unique. Il n’a rien à voir avec les spectacles commémoratifs et encore moins avec les évocations du type « son et lumière » pour les touristes. Il s’agit d’un véritable théâtre populaire créé avec une professionnalité rigoureuse par la compagnie Tierraquamada avec plus de 200 acteurs, en majorité amateurs éclairés.

        Cette épopée des « Guerres numanciennes » est composée de huit épisodes indépendants : 1 – La guerre qui a changé le calendrier, 2 – La bataille des éléphants, 3 – La paix de Marcellus, 4 – Numance brise le siège de Pompée, 5 – Le consul Marcial déconfit face à Numance, 6 – Rome envoie Scipion contre Numance, 7 – Le siège de Numance, 8 – La chute de Numance. L’événement est organisé en collaboration avec l’équipe archéologique de Numance, par la ville de Garay proche du site. Alfredo Jimeno archéologue, professeur de Préhistoire à l’Université Complutense de Madrid, spécialiste des Celtibères et directeur des fouilles archéologiques à Numance, s’est basé dans sa remarquable version théâtrale du cycle « Guerres numanciennes », sur les textes des historiens grecs et romains dont Appien et Plutarque. On connaît l’histoire de Numance surtout par la pièce de Cervantès Le siège de Numance écrite en 1583. Mais quelle est la véritable histoire de cette héroïque résistance du David celtibère face au tout puissant Goliath romain ? Alors que la pièce de Cervantès est un hymne à la liberté, à la dignité et au courage des Numanciens qui tous ont préféré mourir libres plutôt que de survivre comme esclaves, l’histoire des guerres numanciennes racontée dans le cycle théâtral présenté à Numance, est beaucoup plus complexe. Le siège de la ville ne s’est pas achevé avec le suicide de tous les citoyens. Mais autant l’histoire que sa version fictionnalisée par Cervantès posent la même question : que vaut-il mieux : mourir avec honneur ou continuer à vivre comme esclave ?

      Après la destruction de la puissance carthaginoise Rome entreprend la conquête de la péninsule ibérique en se confrontant dans les régions éloignées de la Méditerranée à une résistance sans précédent des peuples Arevaques et Vaccéens, luttant farouchement pour leur indépendance. Numance est emblématique de cette résistance. Sept grands généraux et consuls romains n’ont pas pu venir à bout de la résistance de Numance assiégée entre 153 et 133 avant notre ère par les énormes troupes romaines. Scipion Émilien avec une armée de 60 milles soldats, recourant à une stratégie sophistiquée, après 15 mois de siège a pris Numance en été 133 avant notre ère. Les Numanciens épuisés par la faim et le désespoir ont décidé de brûler la ville et de se suicider. Les quelques-uns qui se sont rendus, ramenés à Rome, ont été vendus comme esclaves. Le dernier épisode de l’épopée numancienne raconte la chute de Numance après des années de résistance.

       Le spectacle commence par les funérailles de Megara, chef des Numanciens, sans ressources, torturés par la faim, dont toutes les tentatives de briser le siège ont échoué. Retogenes, nouveau chef des Numanciens, entreprend une nouvelle tentative pour chercher de l’aide. Il réussit à sortir avec un petit groupe de soldats. Les villes voisines auxquelles il demande du secours refusent en craignant les représailles romaines. Seulement dans la ville de Lutia des jeunes guerriers étaient prêts à aider Numance mais l’assemblée des anciens, craignant les représailles, s’est empressée de prévenir les Romains de ce qui se tramait. Les Romains se font livrer les jeunes rebelles auxquels ils coupent la main droite pour qu’ils ne puissent pas empoigner l’épée. À Numance le peuple en désarroi prie et sacrifie au dieu Lug. Les ambassadeurs de Numance envoyés au camp de Scipion pour négocier une paix honorable échouent. À leur retour le peuple numancien en colère les soupçonnant de trahison les tue. La majorité des Numanciens se sont suicidés en brûlant la ville, le peu qui se sont rendus, ont été vendus comme esclaves. Le spectacle s’achève par un épilogue dans lequel, seuls en scène, deux acteurs, homme et femme, en costumes contemporains, s’adressant au public parlent de l’impact de la résistance et de la fin héroïque des Numanciens dans la conscience des Romains qui, vainqueurs, étaient finalement vaincus et de la dimension emblématique du siège de Numance dont la mémoire perdure.

         La scénographie est conçue comme une cartographie imaginaire du siège de Numance avec peu d’éléments : une palissade avec une ouverture au centre à travers laquelle on voit la tente de Scipion, deux tours de garde en bois derrière la palissade et devant deux tours en toile peinte représentant l’entrée dans Numance. L’esprit didactique du spectacle se manifeste dans les costumes basés sur la reconstitution historique de ceux des soldats romains et des celtibères. Ainsi les Romains en tunique courte, cotte de mailles, bouclier, casque, sandales, épée, Scipion avec une cape rouge. Les Numanciens en tunique longue et tablier avec des signes celtes. La dramaturgie scénique est articulée sur le récit du narrateur qui marque la progression dramatique, le passage du temps, introduisant les séquences successives. Dans cette trame dramatique s’inscrivent les discours, les dialogues, les parties chorales dans les scènes qui s’enchaînent avec une remarquable fluidité. Dans la mise en scène d’une grande simplicité, exempte d’effets spéciaux et d’éclairage, (le spectacle se joue en fin de journée) on note l’utilisation intelligente de l’espace scénique. Les changements de lieux d’action se font sans rien changer ni déplacer sur scène mais seulement par une dramaturgie des déplacements, des mouvements, quasi chorégraphiés, des groupes. Le metteur en scène évite le réalisme dans la représentation des situations, en procédant par évocations inventives dans les images poétiques et dans le jeu. Le personnage collectif, le peuple de Numance, n’a rien à voir avec le chœur grec, c’est un véritable protagoniste de la pièce. Pas d’emphase dans le jeu très naturel, assez nuancé, des acteurs. Deux chevaux participent dans certaines situations. Scipion arrive à cheval à Numance, Retogenes à cheval s’échappe de la ville avec un petit groupe de soldats en cherchant de l’aide. On admire avant tout dans la mise en scène l’art de configurer dans l’espace les actions avec souvent des références au siège et à la symbolique du cercle. Ainsi par exemple, au début du spectacle les troupes romaines qui arrivent se déploient en file entourant Numance.

         Dans la scène des funérailles de Megara tous les Numanciens, soldats, femmes, enfants, en cortège suivent la civière avec le mort. Sa crémation est évoquée par la fumée qui s’élève vers le ciel pendant qu’on fait l’éloge de son courage. Dans les séquences des assemblées les orateurs se placent au centre du cercle formé par le peuple numancien. La scène de l’intervention des femmes refusant la reddition de la ville ou encore celle du sacrifice de la colombe au dieu Lug sont particulièrement bouleversantes.Bref c’est un spectacle inoubliable, excellent autant par son approche des faits historiques que par leur transposition théâtrale.

 

Site:http://numantinos.com/