En mai, Kirill Serebrennikov, 47 ans, directeur du théâtre Gogol-Centre, metteur en scène et cinéaste célèbre, bien connu en France, Allemagne et Italie (il y a quelques semaines on lui a décerné le prestigieux prix  « Nouvelles Réalités Théâtrales d’Europe) avait fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’une enquête pour détournement de subventions budgétaires publiques. En juillet, le ballet Noureev, qu’il avait mis en scène, avait été brutalement déprogrammé au Théâtre Bolchoï. Son passeport lui avait été retiré. Désormais, le Comité d’enquêtes, « le bras judiciaire du Kremlin », l’accuse de fraude. Le 22 août la nouvelle tombe: il a été arrêté à Saint-Pétersbourg où il tournait son prochain film, et transféré à Moscou. L’article de loi prévoit jusqu’à 10 ans de prison. Kirill a refusé d’admettre sa culpabilité et on peut dire que c’est la première fois depuis l’ère stalinienne qu’un metteur en scène est arrêté en Russie de cette manière. Serebrennikov est assigné à résidence jusqu’au 19 octobre (date d’ouverture de son procès). Il est dans l’incapacité donc de continuer son activité professionnelle et artistique.

Anatoli Vassiliev

22 AOÛT

L’histoire avec Kirill Serebriannikov pour moi est une histoire très personnelle. Nous sommes tous les deux les hommes du sud, de Rostov-sur-Don, nous sommes compatriotes, pour moi c’est important. À l’école, Kirill a étudié de première classe avec ma fille Polina. Ma mère, une enseignante de mathématiques, a parfois donné un peu de soutien scolaire à Kirill, quand il était malade et se traînait derrière les autres. Et sa mère, à son tour, a travaillé sur la langue et la littérature russes avec Polina quand elle a eu des difficultés. Plus tard, Kirill m’a demandé de l’accepter comme mon élève de théâtre, mais je ne l’ai pas conseillé de faire le théâtre avec moi – le mien est trop bizarre, trop « outré».

Le troisième millénaire a commencé pour moi avec deux meurtres et un protocole officiel. L’acteur de mon théâtre Vladimir Lavrov et le directeur de GITIS Sergei Isaev ont été tués en 2000. Deux ans plus tard, en avril, un protocole officiel a été délivré par le maire de Moscou concernant le transfert du Théâtre sur Sretenka, de mon École d’Art Dramatique, à une autre administration. En 2006 j’ai été expulsé du théâtre comme quelqu’un qui résiste obstinément à sa réorganisation. J’ai ensuite refusé de continuer mes activités artistiques publiques à Moscou et en Russie. Et jusqu’à présent, je suis une personne privée là-bas.

La confiance des jeunes qui croient toujours qu’ils sont intouchables dans leurs activités artistiques m’a toujours gêné, – en tant que «un fils d’un communiste russe», je savais mieux! Ce qui semblait être détruit irrévocablement se préparait à se venger. Le temps, l’époque même dans notre pays a commencé son mouvement régulier et implacable dans la direction opposée…

J’attendais toujours que la prophétie du désastre de Tchèkhov, cette vente aux enchères de La Cerisaie  se réalise vers le 22 août. Donc, c’est arrivé!

De Lopakhin à Serebrennikov.

Toujours cette horreur du destin qui se répète.

Qu’est-ce qui nous reste? Notre déception – et notre nihilisme radical! Notre indifférence – et notre passion pour la liberté.

Et ce cri, encore et encore:

Nous ne sommes pas nés les êtres humains en Russie pour arriver à ça, pour qu’on puisse nous faire ça!

(Traduit du russe par Natalia Isaeva)