La manif des intermittents et le génie de la Bastille: joyeuse fête du ras-le-bol

Les intermittents du spectacle et d’autres professions précaires (restauration, guides conférenciers, etc.) sont descendus dans la rue le 23 avril pour manifester contre la réforme de l’assurance chômage qui risque d’ajouter à la précarité de leur situation déjà fragile. Le parcours de la manifestation allait de la Place d’Italie à la Bastille en passant par les boulevards Arago, de l’Hôpital, et la gare d’Austerlitz. Rarement, on aura vu un défilé aussi paradoxal et ambigu où, sous les mêmes bannières, se côtoyaient danseuses brésiliennes, musiciens de jazz, fanfares, comédiens déguisés, et militants de la CGT, vieux « routards » de la contestation marchant fièrement, dos droit et front en avant, sous des drapeaux rouges sortis tout droit de Mai 68.

  

Alors que la troupe des « Danseuses d’Or » brésiliennes, à moitié dénudées et vêtues de costumes de plumes multicolores, se déhanchaient au rythme d’une samba endiablée interprétée par une batucada (ensemble des instruments de percussions brésiliennes), quelques mètres plus loin un meneur de la CGT-Spectacle hurlait dans son micro des slogans tels que « Macron, c’est les patrons », dans la cacophonie générale. Les porteuses de drapeaux rouges d’« Occupation Odéon » défilant solennellement au son du fameux « Commandante Che Guevara » interprêté par une joyeuse fanfare, étaient précédées d’acrobates échassiés exécutant des sauts époustouflants.

   Mais, malgré l’euphorie générale d’avoir enfin, cet après-midi là, la possibilité d’exercer leur profession, de jouer, chanter, danser, ne serait-ce que sur le pavé et dans le cadre d’une action de protestation contre les effets du confinement et de la crise sanitaire sur les professions précaires, on lisait sur les visages un certain désarroi. C’est que l’on s’attendait à être beaucoup plus nombreux… Les slogans « anti-macronistes » martelés par les organisateurs de la marche n’étaient que faiblement repris en écho par les manifestants. En effet, les artistes, privés de scène depuis près d’un an, préféraient se concentrer sur l’essentiel de leurs revendications, c’est-à-dire, la réouverture des salles de spectacle. 

Devant la colonne de la Bastille, dite du génie de la Liberté, les jeunes occupants du théâtre de la Colline exprimaient le ras-le-bol d’une jeunesse sacrifiée et oubliée, aussi bien par les ténors de la crise sanitaire, que par ceux de la convergence des luttes, dans une performance dansée à la fin de laquelle ils s’écroulaient morts sur les dalles de marbre, recouverts de cellophane transparent, puis se relevaient en criant « On étouffe ! ». 

Les photos de Bruno Niver