« UNE TELEVISION FRANCAISE » de Thomas Quillardet/Entretien Agnès Adam

 5- 22 janvier 2022  – Théâtre de la Ville/Les Abbesses ; 25-26 janvierLa Rochelle ; 22-23 mars 2024 –Châteauvallon-Scène nationale

Après « The French Dispatch » délirant et surréaliste de Wes Anderson, voici une adaptation pour le théâtre de Thomas Quillardet, plus classique, de la vie d’une équipe de journalistes. « Une télévision française », la chronique quotidienne d’une rédaction de TF1 à l’époque de sa splendeur jusqu’à sa bascule dans le privé, à partir du rachat par Francis Bouygues en 1987 : sujets politiques, crises planétaires, scènes de débats historiques –Mitterrand-Chirac(1988), Tapie-Le Pen(1989), ainsi que les rivalités professionnelles,  grandes ambitions et  petites querelles d’ego.  Et évidemment l’impact de la privatisation sur la façon de traiter l’information, et donc le monde.  Sans jamais tomber dans le piège d’utiliser la vidéo pour parler de la télé ou le simplisme de la narration purement documentaire, Thomas Quillardet construit une fiction joyeusement théâtrale, une série de sketchs drôles et inventifs sur les sujets politiques interprétés avec finesse et panache par sa troupe de comédiens/comédiennes. Chaque acteur interprétant plusieurs rôles, avec le passage délicieusement subtil entre féminin/ masculin ce qui permet d’éviter la tentation de réaliser la copie conforme des grands stars, les présentateurs de la télé, tels que Claire Chasal et les autres. Nous avons rencontré Agnès Adam, comédienne/metteuse en scène, diplômée de l’Ecole de l’ENSATT, classe d’Anatoli Vassiliev, qui incarne dans le spectacle Alain Kopniak et Michèle Cotta.

  • Comment êtes vous arrivée dans cette aventure théâtrale ?

 Le début d’une aventure théâtrale est toujours très excitant car on ne sait rien. Tout commence toujours et d’autant plus pour moi avec une toute nouvelle équipe d’acteurs qui se connaissaient tous plus ou moins, ayant partagés ici et là d’autres aventures avec ce metteur-en-scène. Ce qui était d’ailleurs le cas aussi pour moi, avec une lecture musicale de scénarios de films sur le thème des rues de Paris (Nos Rues- Festival Quartier d’été en 2020).

  • Pourriez -vous parler un peu plus du processus de création, des particularités du travail de Thomas Quillardet?

 Aventure incroyable avec Thomas Quillardet: cet homme, cette équipe/ acteurs, scénographe, régisseur général, sondier, lumière, costumier et un bureau de production mené d’une main de maitre à 8 mains en fait. Une direction générale, de production, de diffusion, de logistique de tournée…Un ballet musical, extérieur et intérieur, dont le chef d’orchestre est Thomas. Un espace de travail troublant qui laisse la place aux rencontres, aux découvertes, au lâcher prise. On s’apprivoise, on appréhende des espaces de jeu, on découvre une langue vive, ciselée, tranchante qui avance, qui file droit et qui résonne dans les bureaux de Cognacq Jay. Un espace de travail  différent de ce que je connais avec Anatoli Vassiliev, où le processus de jeu menant à l’espace scénique est le tout début du travail. Ici, on découvre le texte en lecture à la table, pendant 1 semaine. Texte qui, chaque jour, se voit apporter des modifications. Puis on se retrouve dans un théâtre et nous arrivons le 1er jour dans les décors des bureaux de la rédaction de TF1, à Cognacq Jay. Ambiance joyeuse et jazzy. On remonte le temps/ les années 80-90 avec tous ses accessoires, ses costumes que nous portons chaque jour- jamais les mêmes- lors des répétitions. On essaie. On voit. On choisit et on trouve une certaine unité de l’ensemble. De même les accessoires arrivent, repartent, se cherchent. Ici, tout se cherche mais l’image du spectacle est là, devant nos yeux et la direction du travail très précise. Texte en main, nous dessinons les parcours des personnages à 10, puis 11. Thomas Quillardet pour qui la cohérence de l’ensemble est fondamentale, orchestre cette polyphonie des corps et des voix d’une main de maître. Le rythme donne la densité à l’action et concentre l’action. Le travail est musical et se construit comme une partition. En cela, Thomas est finalement très proche de l’école russe. Ici, on ne recherche pas tout de suite la vie intérieure de l’acteur et du personnage mais son corps en scène, son rythme, ses mouvements physiques. Si l’on parle d’une partition des mouvements on serait plus proche de Meyerhold que de Stanislavski.

  • Quelles sont les sources que vous avez utilisé pour ce spectacle qui est quand même entre un théâtre documentaire et une fiction ?                                                      

Le thème abordé dans cette pièce est la naissance et la transformation d’une chaîne de télévision vécue par les membres de sa rédaction. Comment s’opère ce passage entre le service public et le privé. Quelles répercutions a-t-il sur l’information, le politique…Nous avons donc regardé de nombreux extraits des archives de l’INA. Le travail s’est fait documentaire et comme les journalistes, nous sommes partis nous-même, à la source de l’information. Nous avons travaillé sur le contenu des informations suivant les différents moments de l’histoire de notre pays et de l’Europe. Nous avons étudié les journalistes, non seulement dans leurs comportements physiques et leurs rythmes, mais dans les idées qu’ils défendent. Ce travail de recherche est passionnant car il part de personnages réels et non fictionnels; il nous renvoie à un pan de l’histoire que nous revisitons, appréhendons, la faisant nôtre pour faire apparaitre nos personnages. Nous sommes femmes/ hommes, peu importe. Le signe est là et ouvre un imaginaire pour le spectateur et nous-même.