Un cadre idéal pour des artistes hors cadre

17 septembre 2015 – 27 mars 2016La Oficina de San Jerónimo, la Casa del Lector au Matadero, Madrid

Casadellector

Casa del Lector

      Un événement hors normes sous les auspices de Saint Jérôme, patron des écrivains et des traducteurs, dans un espace magique et labyrinthique de 1200 m² où se côtoient et dialoguent des œuvres d’artistes hors de l’art étiqueté, inclassables, insoumis, anticonformistes, souvent iconoclastes, transgresseurs des règles artistiques et du « au pas » de la bien-pensance. Cette planète de personnalités artistiques singulières qui avec une liberté absolue se meuvent entre la littérature, l’écriture et les arts plastiques, est née de la proposition faite il y a plus de quatre ans par César Antonio Molina, directeur de la Casa del Lector, à Eduardo Arroyo, d’exposer ses œuvres dans cet espace exceptionnel. L’arpenteur des arts, explorateur en particulier des interférences et de l’inter alimentation entre la littérature et la peinture, Eduardo Arroyo, au lieu d’exposer tout seul, s’est entouré dans l’exposition d’artistes de sa famille d’esprit en faisant découvrir entre autres en Espagne des plasticiens français loin des courants, des individualités fortes, singulière, comme Pierre Roy. En s’improvisant avec Fabienne di Rocco commissaires de l’exposition, il a organisé l’espace de la Casa del Lector comme un parcours labyrinthique, une sorte de « bibliothèque babélique en 7 chapitres », en tissant une exposition en apparence disparate, discontinue, mais très cohérente, animée par l’esprit Saint Jérômien de la transgression, de la translation des langages artistiques.

       En hommage au patron de cette «bibliothèque babélique» proposée par Eduardo Arroyo, comme entrée en matière, le premier espace de l’exposition est dédié à Saint Jérôme avec 17 portraits du « Saint Traducteur », par des maîtres comme Murillo, Van Dyck, Diego Polo et des peintres anonymes, dont six sont prêtés par le Musée du Prado.

Une passion dans le désert, 1964

Une passion dans le désert, 1964/  Gilles Aillaud/Eduardo Arroyo/ Antonio Recalcati/

Suit la salle Une passion dans le désert avec des œuvres inspirées par la nouvelle éponyme de Balzac, réalisées en 1964 à Paris par Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud et Antonio Recalcati. Une sorte de création collective à trois, ayant pour principe que chaque peintre intervenant pouvait s’inscrire en prolongement de la version proposée par les deux autres ou effacer ce qui ne lui convenait pas. Les œuvres sont encloisonnées par des barreaux, référence au cloisonnement systématique des arts et à la création en liberté surveillée ?

Casadatcha

La Datcha, 1969/Gilles Aillaud /Eduardo Arroyo / Francis Biras / Lucio Fanti / Fabio Rieti / Nicky Rieti

L’étape suivante Le Stylite avec au centre une grande colonne faisant référence au célèbre ascète, le stylite Simon l’Ancien. Au sommet, à la place du Stylite absent, quatre écrans sur lesquels est diffusé le discours surréaliste et avant-gardiste de Ramon Gomez de la Serna. Au pied de la colonne un immense tableau, œuvre collective non signée, la Datcha avec un sous-titre kilométrique et surréalistiquement percutant : « Louis Althusser hésitant à entrer dans la datcha « Tristes Miels » de Claude Lévi-Strauss où sont réunis Jacques Lacan, Michel Foucault, Roland Barthes, au moment où la radio annonce que les ouvriers et les étudiants ont décidé d’abandonner joyeusement leur passé ». Une réaction ironique aux discours des leaders du mundillo intellectuel des années 1960 qui ne se sont jamais convertis en action.

     Tout autour de la salle sont exposées 150 photographies d’esprit surréaliste, des situations d’actualité dont les protagonistes sont saisis dans un état de suspension, de déséquilibre. Une fois par semaine la salle du Stylite devient une scène des poètes performeurs.

LUCIA MARA ,Sans titre, 2014

LUCIA MARA ,Sans titre, 2014

        La station suivante du parcours nous plonge au cœur de la « littérature impossible » et des « écritures illisibles » avec une centaine d’œuvres des années 1960. Beaucoup sont empreintes de l’esprit de l’Oulipo, surréaliste, protestataire : livres illisibles, en braille, livres vitrines ou encore un livre lampe.

L 'encre d 'Enrique Castello ,Composition de Lettres , 1965

Enrique Castello ,Composition de Lettres , 1965

           Une soixantaine d’œuvres sur toile ou papier proposent des étonnantes transpositions des signes, des lignes et des lettres en un langage plastique.

          On quitte cet univers du « happening littéraire » pour entrer dans celui des peintres français : Pierre Roy, Clovis Trouille, Alfred Courmes, Gilles Lefranc, appartenant à la génération née dans les dernières décennies du XIXe s. et qui ont poursuivi leurs propres voies en refusant de s’inscrire dans des tendances dominantes, de faire partie d’un groupe ou d’une chapelle.

Pierre Roy. Coquillages après l'orage, 1949

Pierre Roy. Coquillages après l’orage, 1949

       Parmi ces « sans Dieu ni Maître » de l’art, Pierre Roy, peintre, dessinateur, un des premiers concepteurs et dessinateurs de publicité, scénographe, créateur d’espaces scéniques et de costumes pour le théâtre et les ballets. Quelques-unes de ses œuvres exposées dans la salle qui lui est dédiée donnent un aperçu de sa vaste création.

        En dialogue avec leurs ainés français dans la salle suivante on découvre les œuvres de trois peintres espagnols de la génération postérieure à celle d’Eduardo Arroyo : Carlos Garcia Alix, Rafael Cidoncha et Sergio Sanz, témoignant de leurs démarches indépendantes, intransigeantes, anticonformistes.

        Au terme de ce fascinant voyage dans les secrets de l’alchimie de la métamorphose ou de la contamination d’un langage artistique par un autre : Le portrait de Dorian Gray, roman d’Oscar Wilde. Ce tableau vivant, exaltant la jeunesse et la beauté comme valeurs suprêmes étant en même temps un miroir de la dégradation morale et physique de son modèle, incarne les transmutations d’un art dans d’autres, en l’occurrence du roman en ses avatars cinématographique, le film d’Albert Lewin dont on peut voir projetés quelques extraits et des affiches.

Crédit photos:  la Casa del Lector