XXIV Festival Don Quijote à Paris

Du 21 novembre au 6 décembre 2015

Le présent traversé par les blessures de l’histoire.

      On se targue de la diffusion et des échanges des cultures européennes entre les pays membres mais en France on préfère ressasser le déjà connu ou regarder au-delà de notre continent, l’exotisme est toujours à la mode.

     Les Pyrénées fonctionnent toujours comme un « rideau de fer », seuls quelques uns comme Rodrigo Garcia ou Angelica Liddell disposent d’un laissez-passer. Quelques Festivals qui faisaient une sorte de « contrebande » des compagnies espagnoles et latino-américaines ont disparu comme tout récemment « les Translatines – Festival de Théâtre Ibérique et Latino-américain » de Bayonne – Biarritz. Seul résiste le Festival Don Quijote, Festival de Théâtre Hispanique à Paris, fondé et dirigé par Luis Jiménez, qui à l’instar de son héroïque patron Don Quijote défie la mesquinerie, l’inculture et l’imposture des responsables politiques et d’une certaine presse qui pense que le théâtre espagnol doit venir d’Avignon. Depuis sa création le Festival a accueilli 200 spectacles hispaniques contemporains en version originale, plusieurs sous-titrés en français, plus de 2 000 professionnels et 85 000 spectateurs.

21 nov. FAMÉLICA (2)

Famelica de Juan Mayorga

      Pour sa 24e édition il propose une programmation de top niveau, des créations récentes des compagnies reconnues en Espagne et en Amérique latine, comme le Teatro de Los Andes de Bolivie et des grands auteurs actuels dont Juan Mayorga,  Aristides Vargas. Récompensé en 2011 par le plus prestigieux Prix Max pour sa constante et résolue défense et promotion des arts espagnols et latino-américains, le Festival conjugue dans sa programmation le théâtre avec la musique et la danse sans oublier la part pédagogique : rencontres, séminaires, lectures organisés avec les Universités (Paris-Sorbonne) et divers Instituts. Depuis quelques années plus de subventions françaises pour le Festival Don Quijote : le Ministère de la Culture, la Ville de Paris, diverses Institutions et autorités locales ont retiré leurs aides bien que depuis 23 ans le Festival ait fait découvrir en France une multitude d’auteurs, de compagnies importantes de théâtre et de danse d’Espagne et d’Amérique latine. Seules quelques Institutions espagnoles : Ministère de l’Éducation, Culture et Sports, l’INAEM (Institut National des Arts Scéniques et de la Musique), l’Ambassade d’Espagne etc., malgré la crise et les coupes budgétaires ont maintenu leurs aides.

     À l’affiche du Don Quijote 2015, sept spectacles, cinq productions espagnoles, une bolivienne, une française, des écritures contemporaines, certaines inspirées par de grands textes classiques comme La Celestine à partir du chef-d’œuvre du XVe s. de Fernando de Rojas. Les thématiques sociales et politiques dominent dans tous les spectacles. Quelques uns utilisent un langage pluridisciplinaire ou proprement visuel. Je salue la bonne idée de Luis Jiménez, directeur du Festival, de ne pas sacrifier à la célébration circonstancielle générale du double quatre centenaire : en 2015 de la publication de la IIe partie du Don Quijote et en 2016 de la mort de Cervantès. L’esprit de celui-ci a toujours éclairé son festival.

      Le coup d’envoi du Festival est donné par Famelica de Juan Mayorga créée par Jorge Sanchez et sa compagnie La Cantera. Une mise en scène vive, rigoureuse, jouant avec brio de l’humour incisif et sarcastique de Juan Mayorga qui, à travers une métaphore du microcosme d’une entreprise, des frustrations, angoisses et désirs secrets de ses employés, brosse un tableau sans concession aucune de la société actuelle où sévit l’exploitation cynique des peurs, des rêves, de la détresse, par toutes sortes de « sociétés secrètes ».

On rit et on frissonne d’effroi en voyant comment ces sectes ou groupes pseudorévolutionnaires infiltrent et intoxiquent les esprits dans ce microcosme du monde du travail, recyclant de vieilles utopies, des slogans usés jusqu’à reprendre à leur compte des chants révolutionnaires comme Famelica, version espagnole de l’Internationale.

Lijeros de equipaje (Sans bagages) de Jesus Arbues

Lijeros de equipaje (Sans bagages) de Jesus Arbues

     La création de Producciones Viridiana Lijeros de equipaje (Sans bagages) de Jesus Arbues raconte l’histoire de l’exode des combattants anti franquistes républicains et de la population civile qui à la fin la guerre d’Espagne (environ 30 000 personnes par jour) passaient la frontière française, recherchant un refuge. Dépouillés de tout, beaucoup sont morts de froid, d’autres sous les bombes, d’autres encore dans les camps de concentration français. À partir des histoires réelles et des témoignages le spectacle raconte cette part de la grande Histoire quasi oubliée. Il ne s’agit pas d’une pièce sur la guerre mais sur l’oubli du passé, sur l’absence, la mort et sur les hommes capables du meilleur et du pire. Cet exode d’il y a presque 80 ans est emblématique de ceux des réfugiés de diverses guerres qui aujourd’hui traversent l’Europe.

       Potestad de l’auteur argentin Eduardo Pavlosky, interprété par Charles Gonzalez, raconte l’enlèvement par les militaires d’une petite fille dont les parents ont été torturés et assassinés durant la dictature en Argentine (1976 – 1983). Une histoire inachevée car les enfants volés par la dictature sont toujours recherchés par leurs familles et leurs proches.

      Le Teatro de Los Andes de Bolivie s’est fait déjà une solide réputation en France. Voici sa dernière création

 El mar

El mar

(la mer) mise en scène par Aristides Vargas, auteur, metteur en scène argentin vivant et travaillant en Équateur. À quel point un pays, en l’occurrence la Bolivie, traumatisé par la perte du littoral pendant la guerre du Pacifique contre le Chili (1879 – 1883), peut ancrer son histoire, sa mémoire et son présent dans cette absence ? Cette absence de la mer perdue est non seulement gravée dans l’imaginaire collectif comme une dette historique mais encore la récupération de la mer est inscrite dans la Constitution bolivienne. Aristides Vargas et le Teatro de Los Andes transposent cette histoire symbolique sous forme d’un conte allégorique et poétique où une mère sur le point de mourir demande à ses trois enfants de l’enchaîner à la porte de sa maison et de l’emmener à la mer qu’elle n’a jamais vue.

Les figures des femmes conjuguées au passé et au présent.

Ce n’est certainement pas un geste circonstanciel de respect de la parité imposée, de la part de Luis Jiménez si une bonne partie de la programmation du Festival est dédiée aux grandes figures féminines, mythes littéraires mais aussi femmes héroïnes anonymes du passé récent. Elles, les femmes : Reine, victime du pouvoir, combattantes, entrepreneuses, ont toujours joué et jouent un rôle important autant dans le passé que dans le présent d’Espagne.

23 nov. PWeb Histrion JUANA 1 (foto de PabloMaBe) (1)

Juana la Reina que no quiso reinar

       Deux grandes figures, l’une historique la Reine Jeanne de Castille, mère de l’Empereur Charles V, inspire le spectacle de Jesus Carazo et du Histrion Teatro Juana la Reina que no quiso reinar (Juana, la reine qui ne voulait pas régner), l’autre mythe littéraire, la grande Célestina imaginée par Fernando de Rojas en 1499 dans sa tragi comédie renait dans La Celestina, création éponyme de Ricardo Iniesta et du Atalaya Teatro. Jeanne de Castille, fille des Rois Catholiques, mariée contre sa volonté, enfermée pendant 46 ans dans un couvent, a été considérée comme folle parce que insoumise aux règles rigides du pouvoir et à la raison d’État, revendiquant le droit d’aimer, d’assumer sa vie de femme. Dans Juana, la reina que no quiso reinar (Jeanne la reine qui ne voulait pas régner) Jeanne est un miroir renvoyant l’esprit oppressif et corrompu de son époque. Le spectacle l’évoque dans l’espace d’une nuit quand ses geôlières la laisse déambuler dans sa prison.

       L’entremetteuse la Célestine est un archétype de la femme libre qui fait le commerce de tout, grande experte en philtres, charmes, ensorcellements divers. Celestina, sans morale ni loi aucune, hormis celle de l’argent, au point que le désir irrépressible du gain la perdra. Elle est emblématique de la société de l’époque (XVe s.) mais aussi de la nôtre dominée par l’argent et le sexe. À toutes les périodes d’oppression cette pièce a été accusée d’apologie de l’athéisme, du nihilisme et du matérialisme. Atalaya Teatro et Ricardo Iniesta, un des meilleurs metteurs en scène d’Espagne, propose une vision expressionniste, grotesque et intemporelle de la Célestine.

       Les héroïnes anonymes de la guerre civile d’Espagne entrent en scène dans Nomes son dones (Toutes sont des femmes) de Carmen Domingo mise en scène par Carme Portacelli, une remarquable metteur en scène et découvreuse des auteurs. Un spectacle pluridisciplinaire où trois artistes femmes, actrice, danseuse et chanteuse, musicienne transposent en fiction théâtrale la réalité atroce de multiples femmes qui ont lutté contre le fascisme, pour la république et la liberté.

      « C’est de leur prison que les cinq personnages racontent leur histoire construite à partir de multiples histoires réelles, témoignant des humiliations, des souffrances et des tortures subies par les femmes dans les prisons espagnoles ». Au-delà de sa référence historique le spectacle fait entendre les voix des femmes réduites au silence dans les conflits, les oppressions politiques et religieuses aujourd’hui.

          Enfin Una niña (Une enfant) de Rosa Diaz par la compagnie La Rous, à travers le langage de clown, raconte l’histoire d’une femme SDF marginale qui vit sur le quai d’un port. Un jour l’image de son enfance, sous forme d’une petite fille enfermée dans une bouteille, bouleverse son existence. Dans un langage simple, adressé à tout public, le spectacle nous confronte aux souvenirs de nous enfants qu’on aimerait retrouver.

Un Festival qui est une carte de visite du théâtre hispanique en France, à ne pas manquer.

Crédit photos:Festival Don Quijote, Pablo MaBe

www.festivaldonquijote.com